Réaction de Sylvestre Vanuxem, ancien président de l’APLV, à l’article du journal Le Monde « Les étudiants français toujours aussi nuls en anglais »

vendredi 28 août 2009
 Sylvestre VANUXEM

Réaction à un l’article paru dans le quotidien Le Monde du 26 août 2009.

À intervalles réguliers la presse nous ressort son marronnier : les « performances » des français en anglais. Cette fois, c’est Le Monde qui s’y colle et comme d’habitude, le mot fatidique est lâché « bilinguisme ». On évoque aussi les causes possibles de cette situation calamiteuse : les « abracadabrantesques », à savoir un ADN réfractaire ; et les pernicieuses : le corps enseignant incompétent.Inutile de s’étendre, nos arguments sont connus des visiteurs du site de l’APLV [1] . Mais rappelons quand même quelques faits :

  • Le « bilinguisme » est un phénomène rarissime conséquence d’une situation particulière et n’est certainement pas l’objectif d’un enseignement de masse des langues vivantes tel que nous le connaissons dans notre pays. L’emploi même du terme dans ce type d’article révèle donc une approche très approximative du sujet traité, surtout lorsqu’on prétend mesurer le bilinguisme avec des chiffres.
  • L’objectif de l’enseignement des langues est de fournir des bases et de mettre en place des stratégies qui seront ensuite validées par une pratique en situation réelle.
  • Le TOEFL ne mesure pas tous les aspects de la pratique de l’anglais, il cherche principalement à tester les capacités de compréhension orale et écrite de l’anglais pour s’assurer que les étudiants voulant suivre un cursus à l’étranger sont à même de comprendre ce qu’on leur enseigne. Les étudiants des pays « premiers de la classe » habituels cités dans l’article (pays scandinaves, Allemagne, Pays-Bas) ne sont pas bilingues - il suffit de les entendre parler anglais ou de les lire – mais leurs capacités de compréhension sont meilleures. Ceci n’est pas surprenant car, loi du marché oblige, ils baignent dès le plus jeune âge dans un environnement anglophone dès qu’ils allument leur télévision. En France, toutes les émissions sont doublées (la tendance allant croissant) et l’accès aux versions originales disponibles relève d’une démarche que seule une minorité effectue. En France, les enseignants de langue qui veulent exploiter des documents authentiques en classe le font souvent en toute illégalité car il n’existe toujours pas de notion « d’exception pédagogique » alors qu’on s’empresse de faire voter la loi Hadopi pour légiférer sur les téléchargements illégaux. En France, on n’a pas voulu mettre en place l’évaluation de la compréhension orale au baccalauréat pourtant prévue et plébiscitée par les enseignants car elle coûte trop cher ; elle fait partie intégrante du TOEFL.
  • On accepte l’idée que des étudiants français (peu nombreux) envisagent d’aller compléter leurs savoirs disciplinaires dans de prestigieuses institutions américaines mais l’anglais ne fait pas partie des domaines de perfectionnement. Pourquoi exiger l’excellence suprême en langue alors qu’on considère qu’ils ont encore des choses à apprendre ailleurs ?
  • La plupart des pays cités comme modèles ont fait une croix sur leur identité linguistique, ce qui n’est pas (encore) le cas de la France. Le rapport aux langues étrangères est donc forcément différent, pour des raisons culturelles et politiques et non pathologiques.
  • Ces classements ont-ils un sens quand ont sait qu’en sont exclus de fait les étudiants issus des pays anglophones. Si on analyse les choses du point de vue strictement compétitif, ceux-ci auront toujours un avantage et passeront devant les non-anglophones, si bons soient-ils. À quoi sert le « bilinguisme » dans un monde où on peut passer avant les autres si on est anglophone monolingue (l’apprentissage langues vivantes n’est pas obligatoires après 14 ans en Grande Bretagne) ?

Gageons que cet article n’est pas le dernier du genre et que ces séances d’auto-flagellation auront toujours cours à l’avenir. Il faut croire que ce côté masochiste plaît car la presse ne se fait jamais écho des exemples positifs qui pourtant abondent, je n’en citerai que quelques-uns : personne ne remarque qu’un ancien ministre français est nommé à la tête du FMI dont la langue de travail est l’anglais, que d’autres partent enseigner dans des universités américaines après une défaite électorale. Qu’un acteur ou une actrice français fasse une carrière à Hollywood ne surprend pas. Les joueurs ou entraîneurs français et francophones achetés à prix d’or par les clubs de football britanniques ne doivent pas passer le TOEIC, les langues ne sont jamais un obstacle à leur transferts, pourtant ils s’expriment à la télévision ou dans la presse en anglais. Des milliers d’étudiants français participent chaque année au programme d’échanges Erasmus et effectuent des stages profitables à l’étranger. On évoque régulièrement le cas de chercheurs français sous-payés partant louer leurs services à des laboratoires étrangers ? Personne ne remarque que s’ils peuvent le faire c’est que leur niveau d’anglais est jugé suffisant. Voila qui pourrait peut-être nous permettre d’éviter de devenir OGM par manipulation d’ADN ou le licenciement général du corps des professeurs de langues…

Sylvestre Vanuxem
Ancien Président de l’APLV
Membre du Bureau.