Perspective actionnelle et évaluation : le Diplôme de Compétence en Langue, par Philippe Delahaye,

Chef de projet DCL, conférence donnée lors de l’assemblée générale de l’APLV, le 9 décembre 2006 à Marseille.
jeudi 4 janvier 2007

« La perspective privilégiée ici est très généralement aussi de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. » (CECR, p.15)

C’est cette perspective que met en œuvre le Diplôme de Compétence en Langue en demandant à l’évalué d’accomplir des tâches langagières « à l’intérieur d’un [scénario] qui [seul] leur donne leur pleine signification ». Le niveau de « compétence en langue » sera donc évalué à travers le degré d’accomplissement de la tâche définie par le scénario.
Cette présentation vise à montrer en quoi le DCL met en œuvre un type d’évaluation innovant et à apporter une réponse à la question que se posent de nombreux enseignants : « perspective actionnelle et évaluation sont ils compatibles ? ».

4 aspects clés du DCL seront ici abordés :

  • le support d’évaluation
  • les activités langagières évaluées
  • les composantes évaluées
  • la nature de l’évaluation

Le scénario : support d’évaluation

Si le scénario a été choisi comme support d’évaluation, c’est surtout parce qu’il permet de mettre en « scène » l’activité même du candidat à travers une véritable action se traduisant par une mission à réaliser (appelée « macro-tâche ») avec prise de position finale et se déroulant au fur et à mesure de l’enchaînement de « séquences » appelées « phases ». Si le thème retenu donne une unité au scénario, l’originalité vient de l’enchaînement des phases qui donne de la cohérence aux activités du candidat par rapport à sa mission et une cohésion à l’ensemble du dispositif d’évaluation.
Il est important de souligner, par ailleurs, que l’architecture même du scénario a été conçue pour être multi-niveaux, multi-publics et translangue, comme nous allons le montrer maintenant.

Le scénario : un support unique multi-niveaux

Puisque le DCL vise à définir un niveau de compétence en langue à travers le degré de réalisation d’une mission, nous nous trouvons dans une logique d’évaluation orientée processus qui ne peut avoir lieu qu’à travers un support unique à tous les candidats.
En effet, s’inscrire à un examen de langue par rapport à un niveau, c’est déjà avoir défini son propre niveau, ce qui en soi est quelque peu paradoxal !
Bien évidemment, cela a des incidences sur la « construction » du scénario et la nature des documents utilisés. Nous pensons que le niveau minimum en deçà duquel, il est impossible de communiquer est le niveau A2 du CECR. Ainsi, lorsque nous parlons d’ « un scénario unique pour tous les candidats » nous pensons à ceux qui ont au moins un niveau A2 ; de ce fait, les documents retenus devront être de difficulté croissante et accessibles pour les plus simples à des candidats de petit niveau.

Le scénario : un support multi-publics

Le DCL n’a vu le jour qu’après une analyse de besoins langagiers, effectuée auprès d’une cinquantaine d’entreprises, de secteurs professionnels et de tailles différentes, toutes catégories de personnel confondues (de la secrétaire au chef d’entreprise). Cette analyse a permis de mettre en exergue 4 types de besoins communs : le traitement de l’information, la relation à l’autre, les consignes et directives, l’argumentation. Dans le même temps, un champ linguistique commun a émergé, la langue de communication à usage professionnel (appelé « LCUP » dans le DCL).
Ce sont ces besoins langagiers et ce champ linguistique communs qui ont servi de base à l’élaboration du cahier des charges pour le scénario DCL.

Le scénario : une architecture translangue

Support multi-niveaux et multi-publics, le scénario est construit autour d’une architecture transférable à toutes les langues. En effet, les concepteurs de scénarios dans les quatre langues évaluées par le DCL (allemand, anglais, espagnol, italien) ont le même cahier des charges. Ceci va dans le sens du plurilinguisme préconisé par le CECR puisqu’il est possible de comparer son niveau de langue à travers l’utilisation d’un même support d’évaluation.
Là encore, le DCL se distingue des certifications existantes qui sont différentes d’une langue à l’autre.

L’organisation du scénario

Afin de faciliter, et surtout éclairer, l’action dans laquelle le candidat va s’engager, le scénario est organisé autour d’une mise en situation intégrant une mission à réaliser. Cette mise en situation permet de contextualiser le cadre d’opération, le « terrain de jeu », tant pour le candidat que pour les examinateurs, d’ailleurs. Ce cadrage offre deux avantages. Le premier concerne la macro-tâche (ou mission) donnée au candidat et donc la finalité de son activité lors des 3 heures de passation du DCL. Le second concerne les différentes étapes qui doivent l’amener à atteindre l’objectif fixé. Une description des moyens proposés pour y parvenir est donnée au candidat en détaillant tour à tour les 5 phases dans lesquelles il devra s’inscrire, prétexte à 5 micro-tâches ; ces dernières lui permettront de montrer ses aptitudes dans 5 activités langagières (compréhension écrite et orale, interaction, production écrite et orale).

Pour ce faire, les concepteurs de scénario doivent se conformer à un cahier des charges de conception de scénario, intégrant, entre autres, deux contraintes fondamentales :

  • le respect de la difficulté graduée, lors des activités de recherche d’informations (dans le cadre des activités de réception) ;
  • le respect de la complémentarité des informations proposées, dans les trois premières micro-tâches relatives à la recherche d’informations (phase 1 : compréhension de l’écrit via dossier documentaire ; phase 2 : compréhension de l’oral via une cassette audio et une phase 3 : interaction au téléphone) afin de donner du sens à l’action et une véritable utilité à la démarche préconisée.

Les activités langagières évaluées

L’analyse de besoins effectuée en amont de l’élaboration du DCL a fait émerger l’importance des activités d’interaction et de production orale en milieu professionnel, activités qui ne sont que très rarement, voire jamais, l’objet d’une évaluation dans les certifications existantes. Lorsqu’elles sont évaluées, l’importance qui leur est accordée est minime par rapport au poids de la compréhension écrite et orale.

Le DCL a donc pris le parti de n’évaluer que les activités d’interaction (phase 3) et de production (phase 4 et 5), partant du principe qu’il ne peut y avoir ni interaction ni production s’il n’ y a pas compréhension en amont. Ceci signifie que l’attribution d’un degré DCL se fait à 100% sur la performance du candidat en interaction et en production, les phases de réception permettant d’alimenter, d’étayer, de consolider et d’expliquer de la manière la plus pertinente et la plus judicieuse possible sa prise de position par rapport à la mission qui lui a été confiée.
Il paraît dès lors évident que le rôle de l’examinateur revêt une importance primordiale et qu’il convient de l’aider dans sa nouvelle posture d’examinateur. Il n’est plus « censeur » ou « traqueur » de fautes mais facilitateur de discours, accompagnateur dans le processus de prise de décision avec pour mission d’amener le candidat à donner le meilleur de lui-même. Cela va dans le sens de la dynamique même du scénario qui amène le candidat à s’impliquer dans une action à travers la mission qui lui est confiée.
Le candidat est acteur de la réussite de sa mission et n’a plus à subir des épreuves d’examen sous forme de QCM ou autres activités du genre.

Une évaluation des composantes pragmatique et linguistique de la compétence de communication

Définir un niveau de compétence en langue par rapport à l’accomplissement d’une tâche, comme le fait le DCL, c’est considérer que, si la connaissance de la langue (composante linguistique de la compétence de communication) est nécessaire, elle ne saurait suffire pour mener à bien une action. De fait, comme le souligne la CECR, des paramètres d’ordre socioculturel et pragmatique entrent en ligne de compte. C’est ce que le DCL a regroupé sous l’appellation « composante pragmatique ». Notons que c’est au niveau pragmatique qu’apparaît de degré de compréhension des candidats puisque certains critères sont en lien avec la sélection, l’organisation et la hiérarchisation des informations ainsi que leur réutilisation lors des justifications avancées ou des argumentaires développés tant en phase 4 qu’en phase 5.

Évaluer la composante linguistique ET la composante pragmatique de la compétence de communication à travers la performance du candidat nécessite que l’évaluation se fasse sur le mode qualitatif à l’aide d’une grille critériée et non sur le mode quantitatif, comme c’est le cas la plupart de temps dans les certifications existantes.

Le DCL : une évaluation critériée

Nous venons de montrer qu’en utilisant un scénario unique comme support d’évaluation, le DCL plaçait l’évalué en situation d’usager de la langue ayant à accomplir des tâches qui ne sont pas seulement langagières comme le préconise la perspective actionnelle.
Le DCL apporte également une réponse aux orientations du CECR en matière d’évaluation par les modalités d’évaluation qu’il propose en liaison avec les descripteurs du CECR.
Il règne aujourd’hui une confusion entre descripteurs et indicateurs de performance. Un descripteur n’est que l’énoncé d’un objectif à atteindre et ne saurait être confondu avec un indicateur de performance comme c’est très souvent le cas (Qu’est-ce qui me permet de dire que quelqu’un peut lire un texte simple sans difficulté ? Qu’appelle-t-on texte simple et que veut dire sans difficulté ? )
L’une des tâches du Conseil Scientifique du DCL a été de définir des critères et des indicateurs de performance à partir des échelles de descripteurs du CECR, niveau par niveau (de A2 à C1, niveaux retenus par le DCL) tant sur le pôle linguistique que pragmatique en tenant compte des activités langagière évaluées (interaction, production orale et production écrite) correspondant aux phases 3, 4 et 5.
Cette définition de critères et d’indicateurs de performance s’est effectuée sur le mode translangue. La dimension pragmatique de la compétence de communication étant translangue, les grilles d’évaluation de la composante pragmatique sont identiques pour chacune des langues ; en revanche les grilles linguistiques sont spécifiques à chaque langue et respectent les particularités de chacune.

La formalisation d’indicateurs de performance à travers des grilles critériées permet d’harmoniser l’acte d’évaluation. En effet, tous les examinateurs ont les mêmes grilles et les mêmes indicateurs. Ils n’ont qu’à repérer l’indicateur qui correspond à la performance du candidat. Notons toutefois que la manipulation et l’appropriation des grilles fait l’objet d’une formation en amont.
L’utilisation de grilles critériées permet, par ailleurs, d’objectiver l’évaluation qualitative qui, sans indicateurs ne peut être que subjective (« lire correctement ou aisément » a-t-il le même sens pour tout le monde ?).

Le dernier point qui reste à aborder concerne le « résultat ». Comment attester un niveau de compétence en langue ?

Les degrés DCL

Nous avons parlé de grille critériées utilisées lors des phases 3, 4 et 5. Cela signifie 5 grilles d’évaluation par candidat :

  • une seule grille pour les composantes linguistique et pragmatique en phase 3 (interaction au téléphone)
  • une grille pragmatique et une grille linguistique en phase 4
  • une grille pragmatique et une grille linguistique en phase 5

Pour chacun des critères, les membres du Conseil Scientifique ont établi une pondération qui correspond à leur « poids » par rapport au degré ciblé. Le calcul de la « valeur globale » des 5 grilles se fait par ordinateur à l’aide d’un logiciel. La valeur chiffrée obtenue après calcul permet de définir un degré.

  • Les degrés sont au nombre de 5 qui sont alignés de la façon suivante sur le CECR
C1 Degré 5
B2 Degré 4
B1.2 Degré 3
B1.1 Degré 2
A2 Degré 1

Le DCL étant un diplôme de l’éducation nationale, le degré définitif n’est attribué qu’après délibération du jury académique dont le président est soit un universitaire soit un IA-IPR.

Ce degré définit ce que le candidat est capable de faire avec la langue et est, de ce fait, en parfaite harmonie avec l’échelle globale de niveaux du CECR puisqu’il prend en compte l’ensemble des activités langagières évaluées.
Pour autant, et c’est une richesse du DCL, chaque activité ayant fait l’objet d’une évaluation, le candidat pourra s’il le souhaite connaître son « profil », activité par activité et critère par critère, ceci permettant soit de préconiser un programme de formation individualisée, soit d’aider à l’autodidaxie, axe fortement recommandé par le CECR. Ceci va également dans le sens de la formation tout au long de la vie qui est également une volonté du CECR.

Il apparaît clairement que le DCL est plus qu’un outil d’évaluation, c’est aussi un outil de réflexion sur les nouvelles pratiques d’évaluation qu’exige la perspective actionnelle au risque de voir cette dernière rester au niveau du discours.

Depuis 2002, date du 2e arrêté relatif au DCL supprimant la clause des 3 ans d’expérience professionnelle nécessaires pour s’inscrire, le DCL connaît un véritable essor et suscite un intérêt grandissant auprès de nouveaux utilisateurs.
Ceci s’explique en grande partie par le développement du « produit » DCL effectué depuis des années par les membres du Conseil Scientifique qui méritent d’être remerciés ici pour l’énorme travail accompli. Par ailleurs, les nombreuses présentations du DCL tant dans le cadre de colloques, que de séminaires ou de formations ont permis de tisser un « réseau d’acteurs », à la fois opérateurs de terrain et ambassadeurs de la « démarche DCL », d’autant que cette dernière est en parfaite adéquation avec le discours officiel ancré sur le CECR.


Pour informations complémentaires voir le site du DCL : www.d-c-l.net.
Parution d’un ouvrage sur le DCL en janvier 2007, Évaluer dans une perspective actionnelle : l’exemple du Diplôme de compétence en langue par Claire Bourguignon, Philippe Delahaye, Christian Puren.

© APLV-Langues Modernes