« Les langues vivantes dans le rapport de la Commission Attali », par Sylvestre Vanuxem, Président de l’APLV

vendredi 1er février 2008
 Sylvestre VANUXEM

Pour mesurer l’importance des langues étrangères dans le long rapport de la "Commission pour la Libération de la Croissance française", il suffit de faire une recherche sur certains mots clés. Résultat : « langues étrangères » 1 occurrence ; « anglais(e) » 11 occurrences (dont deux peu pertinentes pour les spécialistes des langues vivantes) ; « allemand » 6 occurrences (dont aucune se rapportant à l’allemand en tant que langue) ; espagnol 2 occurrences (dont une seulement se rapportant à la langue). On pourrait continuer au-delà de ces quelques exemples, mais on aura déjà compris que dans lorsqu’il s’agit de relancer la croissance, les auteurs du rapport considèrent que seul l’anglais présente un intérêt, les quelques autres langues citées (espagnol, arabe, chinois) et choisies selon les critères que l’on devine devront quant à elles se contenter de jouer les figurantes.

Contrairement aux recommandations du rapport de la Commission Thélot, où l’on préconisait il y a quelques années que l’anglais soit la seule langue faisant partie du socle commun de connaissances, on propose ici « d’ajouter » l’anglais au socle à côté de la langue vivante étrangère déjà présente. On pourrait se réjouir que l’on encourage ainsi l’apprentissage de deux langues vivantes, et ce dès l’école primaire, mais le problème est que l’anglais n’est plus considéré ici comme une langue étrangère ! On le fait entrer dans une catégorie à part où figurent aussi le travail en groupe, l’informatique et l’économie. Le rapport est d’ailleurs on ne peut plus clair à ce sujet, car on peut y lire page 26 : « Dans ce socle, rien n’est dit sur la maîtrise d’Internet, la capacité à travailler en groupe, la maîtrise de l’anglais, le développement de la créativité ou l’apprentissage de l’économie », alors qu’une langue vivante étrangère, majoritairement l’anglais, fait partie des connaissances prévues dans le socle. Les enseignants d’anglais et leurs collègues d’autres langues sont déjà habitués à se battre contre ce type de proposition qui fait régulièrement surface. S’il s’agit de libérer la croissance française il est bien évident que les aspects civilisationnels et culturels de la langue de … qui déjà ? Dow et Jones peut-être… sont à ranger dans le registre folklorique dont on ne peut avoir cure quand le pays est au pied du mur…
Le problème est que dans ce cadre on ne fait pas non plus dans la dentelle pédagogique, puisqu’on peu lire page 14 qu’il faut « se donner les moyens pour que tout élève maîtrise avant la fin de la sixième le français, la lecture, l’écriture, le calcul, le travail de groupe, l’anglais et l’informatique. » Qu’entend-on par « maîtrise de l’anglais » avant la fin de la sixième ? A l’heure où les modalités d’évaluation du niveau A2 en langue vivante 1 de la mouture 2008 du Diplôme National du Brevet sont dans le flou le plus total, on se demande bien ce que ce terme peut recouvrir ici. L’anglais n’étant plus une langue vivante mais un outil, il n’est peut-être plus concerné par le CECR, si tant est que les membres de la commission aient jamais entendu parler de ce dernier.

M. Attali a prévenu que si l’on souscrivait à l’esprit du rapport il fallait en adopter toutes les dispositions, et le Président de la République lui a répondu qu’il le ferait pour une grande majorité d’entre elles, se réservant une petite marge de manoeuvre. On se doute que celle-ci servira surtout à préserver certaines corporations citées par le texte dont l’opinion publique désapprouverait une réforme trop radicale. Face à cela, cette même opinion publique préparée par les médias, comme on a pu le constater récemment, sera-t-elle prête à refuser avec force l’idée qu’une langue vivante devienne simplement un outil ?

Pourtant, des arguments purement économiques allant contre le « tout anglais » existent. Un rapport du Haut Conseil à l’évaluation de l’école (instauré en son temps par l’actuel Premier Ministre), dont l’APLV s’était fait l’écho, a montré que rendre les armes sur le front de la diversification ne ferait que favoriser la croissance des pays anglo-saxons faisant un marché de la commercialisation de la formation en anglais et ayant de fait un avantage linguistique irrattrapable sur leurs concurrents. En tant que linguistes, nous pourrions ajouter qu’ils possèdent aussi la culture derrière la langue, ce qui est un atout non négligeable dans une négociation.
Un des effets pervers de cette recommandation du « tout anglais » apparaît d’ailleurs dans le rapport lorsqu’on lit page 39 : « Même si l’ensemble des formations doit rester en français, il serait utile de développer des enseignements et des cursus d’abord en anglais, et également en arabe, espagnol et chinois, afin de mieux préparer les étudiants français à la mondialisation et d’attirer des étudiants étrangers. » Que des étudiants français reçoivent des enseignements de contenus en langue étrangère est tout à fait souhaitable, cela se pratique déjà non seulement à l’université, mais aussi dans l’enseignement secondaire avec les sections européennes. Par contre, lorsqu’il s’agit d’attirer des étudiants étrangers, va-t-on devoir sélectionner ceux-ci d’après leurs compétences en anglais et leur aptitude à suivre les cours dans cette langue ? Utilisera-t-on pour cela les tests ad hoc conçus par des sociétés anglo-saxonnes qui réalisent de juteux profits en les commercialisant ? Certes, les universités françaises et écoles seraient ainsi préparées à la mondialisation, mais cette situation paradoxale serait-elle exemplaire s’il s’agit de relancer la croissance française ?

Rien de bien nouveau donc en ce qui concerne les langues dans ce rapport, si ce ne sont de vieilles recettes basées sur des raisonnements simplistes, alors que, dans un domaine qui touche à l’identité des individus, rien n’est simple. En prime, on ne fait qu’ajouter une confusion à propos des objectifs : « maîtriser » anglais en fin de sixième, s’agit-il d’une résurgence du fantasme de bilinguisme ou d’une maîtrise a minima d’un quelconque « globish » ?

Reste la crainte que l’importance des enjeux affichés et le côté « dix commandements » du rapport fassent que ces propositions - en tout cas celle concernant l’anglais - ne soient adoptées trop hâtivement telles quelles, alors même qu’aucun paragraphe du rapport n’envisage concrètement les conditions pédagogiques, financières et matérielles de leur réalisation.


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