Réformes des métiers de l’enseignement : la position de l’APLV

mardi 2 février 2010

C’est avec plaisir que le bureau de l’APLV a publié sur son site les commentaires de l’ALDIDAC sur la réforme des métiers de l’enseignement, car ces commentaires reflètent des points de vue qui, sur le fond, correspondent avec les objectifs qui sont, depuis toujours, ceux de notre association. Il désire cependant compléter et élargir certains points de ces commentaires, afin que puisse être mieux appréhendée dans sa totalité la question complexe de la préparation aux métiers de l’enseignement, et en particulier de l’enseignement des langues

1 – La question du séjour à l’étranger.

Si un séjour prolongé à l’étranger devient maintenant comme un atout supplémentaire dans n’importe quelle formation universitaire, il semble d’évidence depuis bien longtemps qu’un professeur de langues doit avoir fait un séjour prolongé dans un des pays où elle est parlée. Or, le texte de cadrage de la réforme fait encore une fois l’impasse sur la question, et, en théorie, on peut parfaitement avoir été déclaré apte à enseigner une langue étrangère sans être jamais sorti de France. Des dispositifs existent actuellement, et depuis de nombreuses années, mais dans le cadre de cette réforme ils ne font l’objet d’aucune valorisation pour l’étudiant qui les a utilisés, ce qui bien sûr ne l’encouragera pas à le faire.

Le premier d’entre eux est l’assistanat. L’étudiant, dûment sélectionné par des instances nationales au vu de ses résultats universitaires, est nommé dans un établissement étranger où il effectue une douzaine d’heures de cours hebdomadaires de français –en collaboration avec les professeurs titulaires de cet établissement- du 1° octobre au 30 avril, et ce pour un salaire assez modeste, versé uniquement pendant les mois travaillés : 700 € /mois en Espagne, 800 € /mois pour les assistants étrangers en France.
L’étudiant-assistant est traditionnellement obligé d’interrompre son parcours universitaire, ou alors de s’inscrire en « dispensé d’assiduité », de se faire envoyer les cours par ses camarades, et de venir en France passer les examens réglementaires. Les Universités –et leurs professeurs- sont traditionnellement compréhensifs et mettent en place des dispositifs d’aide informels, mais la situation n’est pas facile pour l’étudiant, et les échecs à cette année préparée à distance sont nombreux. Telle était la situation jusqu’à présent, et le nouveau dispositif n’améliore rien, puisqu’il ne prévoit aucune validation, dans le cadre du Master 1 enseignement, de l’expérience professionnelle acquise. Il faut dire que la question est complexe : l’assistant se destine à être professeur d’anglais, d’espagnol etc… mais en Angleterre ou en Espagne ou ailleurs, il enseigne le FLE. Et les personnes susceptibles de l’évaluer –ses collègues de français et/ou le chef d’établissement- ne savent pas sur quels critères ils doivent le faire. En 2008-09, le CIEP avait commencé à travailler dans ce sens, mais cela n’a visiblement pas été pris en compte.

L’autre dispositif, maintenant bien connu, est le programme Erasmus, et les systèmes qui s’en inspirent, comme les échanges bilatéraux entre établissements. Sans entrer dans le détail –assez technique- des raisons, beaucoup de futurs enseignants partaient en année de M1, et pouvaient la valider en totalité, ce qui devient très problématique dans le cadre du futur Master enseignement. En effet, dans l’immense majorité des universités étrangères les étudiants ne trouveront pas d’enseignements susceptibles de valider des UE de type professionnel ; les contenus « scientifiques » des formations sont à peu près unifiés en Europe, mais les structures de formation des maîtres sont très diverses ! L’étudiant pourra certes anticiper, et effectuer dans le cadre Erasmus ou assimilé sa dernière année de licence à l’étranger. Mais cela implique de candidater au milieu de la 2° année de licence, donc de s’orienter tôt, ce qui est passablement contradictoire avec les instructions données par le Ministère concernant la licence.

Depuis quelques années, l’on observe d’ailleurs, que ce soit pour les programmes Erasmus et les programmes d’assistanat, une baisse certaine de la demande étudiante. Rappelons que la bourse Erasmus et ses compléments éventuels restent modestes, couvrant de moins en moins le fameux « surcoût », et que surtout de plus en plus d’étudiants financent leurs études en France par de « petits boulots ». Ils n’en trouvent pas si facilement à l’étranger, d’où le frein au départ. Quand à la fonction d’assistant, elle n’est pas très bien payée, et il faut subsister, de mai à octobre !
Mais, diront les pessimistes –ou les réalistes- encore heureux que peu d’étudiants demandent à partir, car les programmes existants actuellement sont loin d’avoir les capacités nécessaires pour accueillir tous les futurs professeurs, et le nombre de places ne peut pas être augmenté d’un coup de baguette magique ! Les partenaires Erasmus ne désirent pas forcément recevoir beaucoup plus d’étudiants –c’est parfois même le contraire pour certains pays- et les différents états n’ont pas forcément envie de payer davantage d’assistants en langue française.
Bref, la question est complexe, et il n’est pas dans les intentions ni dans les possibilités de l’APLV de proposer des solutions-miracles. Elle ne peut que constater que, dans la précipitation qui préside à l’implantation de cette réforme, le Ministère met la charrue avant les bœuf et évacue purement et simplement la question ! Bref, une majorité des futurs professeurs de langue ne feront toujours pas de séjour prolongé à l’étranger, celui-ci restant réservé à ceux qui sont particulièrement accrocheurs et/ou fortunés.

II – Epreuves du CAPES et formation des enseignants de langues.

L’APLV a souligné en son temps les déficiences des épreuves écrites du CAPES telles qu’elles se pratiquaient jusqu’à présent, et elle peut constater qu’encore une fois on a fait l’économie d’une réflexion de fond sur deux questions fondamentales :
Sur quels contenus scientifiques et professionnels la formation d’un professeur de langues doit-elle s’adosser ? Quelles sont les modalités d’évaluation qui permettent de les apprécier le plus finement et le plus justement possible, dans le cadre d’un concours de recrutement ?

En ce qui concerne le premier point, l’absence de programme dans les nouveaux concours sous-entend que le candidat est censé tout connaître, ce qui est peu réaliste. On peut alors s’inquiéter d’un caractère arbitraire de cette épreuve, puisqu’elle peut porter sur n’importe quel texte, et être donc susceptible de dérouter un candidat pourtant valable. Ensuite, il faut souligner le caractère très traditionnel des épreuves écrites qui permettent d’apprécier les connaissances du candidat. On connaît bien les avantages et inconvénients du commentaire de texte comme épreuve-phare de l’enseignement d’une langue et on peut en dire autant de la traduction, exercice certes intéressant, mais très spécifique, et il n’est pas évident que la capacité en la matière soit indispensable à un futur enseignant de langue vivante. Il semble bien qu’on ne se soit pas donné le temps de la réflexion sur de nouvelles épreuves qui permettent d’apprécier la capacité des candidats à engager une réflexion sur la transposition des savoirs disciplinaires (qu’il est indispensable de posséder) en savoir enseignables.
Au lieu donc de prendre le temps de réfléchir à des épreuves innovantes, claires et fiables, le ministère a préféré la solution de la rapidité, de la facilité, et surtout aussi de l’économie. Le nombre des épreuves est diminué, et les sujets sont faciles à établir et à corriger, du moins en apparence. La question de leur pertinence devient alors secondaire, si la référence à la RGPP et aux économies budgétaires est le principal critère d’appréciation.

L’APLV s’inquiète par ailleurs du fait que dans les dernières dispositions ministérielles on ne trouve toujours pas de modalités claires d’articulation entre le cursus de Master et la préparation des concours, c’est-à-dire entre les savoirs et méthodes nécessaires pour l’obtention d’un concours de la Fonction Publique, et les savoirs et méthodes indispensables à l’engagement d’une réflexion scientifique et professionnalisante en relation avec la future prise de fonction, étayée par une formation à la recherche.

Par ailleurs, l’organisation des études dans la seconde année de Master pose pour l’heure des problèmes tels que de nombreux étudiants se trouveront très vraisemblablement dans l’impossibilité de concilier trois logiques et leurs exigences : celles d’un M2, celles d’un concours et celles de stages de terrain avec une réelle dimension formative. Ces impossibilités ont d’ores et déjà des répercussions sur les stratégies des étudiants en cours de cursus, qui les conduisent par exemple à renoncer à déposer des candidatures Erasmus, dans la crainte de ne pas suivre de parcours suffisamment cohérents. Ces attitudes qui dénotent un désarroi certain sont la conséquence de tant de rapidité et d’imprécision du côté des décideurs, ce qui contribue à jeter le discrédit sur les filières universitaires.

Enfin, la mise en danger des IUFM et la suppression des heures assurées par des personnels non titulaires qui y exercent actuellement (et qui vont probablement devoir réintégrer leur établissement d’origine) non compensées par la création de postes dans les universités empêcheraient ces dernières d’assurer avec assez de pertinence les missions jusqu’alors dévolues aux IUFM. C’est à un coportage des maquettes de Master entre UFR et IUFM qu’il faudrait pouvoir prendre le temps de réfléchir, sans doute selon des modalités à définir localement. Mais en tout état de cause la réflexion sur de nouvelles modalités de recrutement et sur la formation initiale dans son ensemble (dès le cursus Licence, en articulation avec le cursus Master) n’est pas possible avec le calendrier tel qu’il a été imposé par le MEN.

En conclusion, l’APLV, avec bien d’autres associations et collectifs, condamne une réforme « à la hussarde », qui fait l’économie d’une réflexion fondamentale, à la base de toute formation des maîtres de qualité : quelle doit être, tout au long du cursus universitaire – et pas seulement en Master – l’articulation entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner ?