Les nouvelles modalités de la formation et du recrutement des professeurs de langues : commentaires de l’APLV

jeudi 9 mai 2013

Le MEN a publié le 19 avril 2013 l’arrêté fixant les modalités d’organisation des concours du certificat d’aptitude au professorat du second degré. Ce texte a déjà fait l’objet de vives critiques, venant des syndicats ou d’associations professionnelles. De son côté, faisant suite aux analyses qu’elle a publiées sur la question du recrutement et de la formation, l’APLV fait les remarques suivantes.

Le MEN a retenu le schéma d’un concours en fin de master 1, ce qui introduit une coupure nette dans le parcours de formation du professeur au sein de la future école supérieure du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ), avec une première année où il se consacre à la préparation de la totalité du concours, et une deuxième année où il devra effectuer un mi-temps d’enseignement, parallèlement à la préparation du diplôme universitaire de master 2. Certes, les étudiants admis pourront bénéficier d’une rémunération pendant la deuxième année de master, ce qui n’était pas le cas dans le cadre de la « mastérisation » antérieure, mais cette structuration présente d’autres inconvénients : la première année sera très centrée sur la préparation du concours, c’est-à- dire sur les acquis disciplinaires et les savoirs didactiques théoriques, - le temps de stage sera très limité en master 1 - tandis qu’en deuxième année la formation à la recherche, et donc à la réflexion sur le métier et ses pratiques, risque d’être sacrifiée, faute de temps : à partir de la session 2014, les étudiants de master 2 devront en effet effectuer un demi-service d’enseignement.
D’autre part, ce placement du concours en fin de 1re année de master ne règle pas la question des « reçus-collés » dont la situation reste effroyablement compliquée. Ceux qui ne seront pas admis au CAPES en fin de 1re année peuvent avoir obtenu le master 1 enseignement, mais ne pourront pas s’inscrire en 2e année de ce même master ; les universités devront donc offrir à ces étudiants un autre parcours de master 2 « alternatif », censé leur permette quand même de repasser le concours, mais cette possibilité ne serait pas nécessairement offerte à tous les candidats malchanceux. Ces perspectives peu encourageantes risquent de limiter encore les vocations pour le métier d’enseignant, déjà en chute libre depuis quelques années, même dans les disciplines littéraires ou linguistiques.

Par ailleurs, nous avions souligné à notre assemblée générale de Reims de 2011 nos craintes de voir les étudiants de la « mastérisation » réduits à faire des arbitrages entre le diplôme et le concours, en fonction du temps dont ils disposaient. Désormais, les lauréats issus du master 1 seront fonctionnaires-stagiaires, mais ils ne devront pas moins satisfaire à la fois aux exigences de la formation professionnelle, à celles du stage à ½ service et enfin à celles de la formation à la recherche pendant l’année de master 2. Cela va leur demander de fournir un travail tout aussi lourd, voire plus, et des échecs sont à craindre. Quid des collés en master 2 et de leur possibilité de redoubler ?

Les contenus précis des nouvelles épreuves du concours pour les différentes langues vivantes restent encore à définir, et les éléments déjà connus révèlent une tension entre l’Inspection générale et certaines associations de spécialistes d’une part, qui insistent, plus ou moins suivant les langues, sur l’importance de la vérification des savoirs disciplinaires, et le Ministère d’autre part, qui désire privilégier l’évaluation des compétences professionnelles. Il est déjà précisé qu’en langues il y aura une épreuve de traduction à l’écrit, - thème OU version dit le texte, alors que thème ET version seraient de nature à mettre tous les candidats à égalité - mais bien des points d’interrogation subsistent encore sur la nature exacte des autres épreuves. Cela est particulièrement inquiétant pour qui veut organiser, dans de bonnes conditions, la préparation au concours pour l’année 2013-14.

La tension entre le disciplinaire et la dimension professionnelle en formation initiale n’est pas nouvelle. On voit ressortir toute une série de problèmes accumulés au fil des ans, dont l’APLV s’est régulièrement faite l’écho. La position du Ministère est que le CAPES est un concours de recrutement de professionnels, dans lequel seules les compétences professionnelles doivent être prises en compte, la formation dans la discipline étant l’affaire de l’université, qui l’a assurée antérieurement. Mais de leur côté les professeurs d’université ont de légitimes inquiétudes. Ils reçoivent en 1re année de licence des lycéens n’ayant eu que 2 heures hebdomadaires de langues au lycée – contre 3 heures il y a quelques années - et ils sont censés leur faire acquérir un haut niveau de formation dans le cadre de maquettes de licence où la part des enseignements fondamentaux de la discipline s’est considérablement allégée. Par le jeu de la « compensation entre unités d’enseignement », on peut très bien avoir un niveau médiocre dans la discipline fondamentale et réussir son année. Pour résumer, arrivent bien souvent à obtenir le master des étudiants qui ont un maniement très approximatif de la langue étrangère qu’ils sont censés enseigner – sans parler de celui du français.

Ajoutons à cela qu’on ne sait pas vraiment ce que seront les ÉSPÉ, qui jusqu’à présent n’ont été définies que par la négative –ce ne seront plus des IUFM, a simplement dit M. Peillon-. Les ÉSPÉ sont censées être des composantes des universités, alors que les IUFM étaient des écoles internes. Si les universités sont engagées à part entière dans le processus, elles ignorent encore à peu près totalement la contribution qu’elles devront y apporter, les moyens qu’elles auront pour le faire, ainsi que les modalités de la collaboration lorsqu’il y a plusieurs universités dans une même académie. C’est tout l’enjeu des dossiers d’accréditation, actuellement en cours d’étude au Ministère. Avec ce système, le risque est grand de voir de considérables inégalités d’une académie à l’autre, surtout si l’on considère que la réforme est conduite à un rythme ahurissant – les ÉSPÉ devraient ouvrir à la prochaine rentrée – avec des arbitrages hâtifs, qui ont toutes les chances d’être… arbitraires.

En ce début de mai 2013, et dans l’attente de nouvelles précisions et informations, l’APLV déplore, comme elle l’avait fait lors de la « mastérisation », que cette nouvelle réforme se fasse encore « à la hussarde », sans véritable réflexion ni véritable concertation. La formation des maîtres a des enjeux complexes, sur lesquels il est important de réfléchir sans précipitation. Au lieu de cela, les enseignants et étudiants se voient imposer une réforme improvisée, qui ne corrige guère les défauts du système antérieur.

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