La note du président - N°3/2016 des « Langues Modernes », par Jean-Marc Delagneau

mercredi 14 septembre 2016

Lorsque vous prendrez en main cette livraison des Langues Modernes, les rentrées scolaires ou universitaires auront eu lieu, en France, comme dans un certain nombre de pays européens. Elles n’auront certainement pas été marquées par une évolution significative de la place des langues vivantes étrangères et régionales dans nos systèmes éducatifs respectifs, surtout au niveau de la diversification linguistique. Celle-ci nous paraît pourtant plus que jamais nécessaire, face aux enjeux multiples de nos sociétés auxquels l’apprentissage de la diversité des langues-cultures peut aider à faire face. L’absence d’une véritable politique linguistique, que ce soit au niveau européen, national ou fédéral selon les États, contribue à la division et au regain de tensions, tandis que l’utilisation renforcée dans tous les domaines d’une seule lingua franca, aseptisée et acculturée par essence, a montré les limites de sa synthèse artificielle identitaire, y compris au niveau économique. Même le récent Brexit, ou sortie programmée du Royaume-Uni de l’Union Européenne suite au référendum local, n’a pas suscité beaucoup de remarques dans ce domaine de la part des principaux décideurs et responsables des systèmes éducatifs. On aurait pu s’attendre, non pas à une remise en cause de l’apprentissage nécessaire de la langue anglaise en tant que langue-culture, mais à une relativisation de son rôle prédominant en tant que lingua franca, devenue de facto le vecteur de communication privilégié au sein d’une Union Européenne plurilingue et, surtout, à un plan de relance pour l’apprentissage diversifié des langues-cultures européennes. À ce propos, vous pourrez lire sur le site de l’APLV la référence à un article de notre collègue Geetha Ganapathy-Doré (Université Paris 13 – USPC), paru le 13 juillet 2016 dans The Conversation.
En France, la mise en place de la réforme du collège et des nouveaux programmes concernant aussi bien le cycle 2 (primaire), le cycle 3 (articulation de l’année terminale du primaire avec la première année du collège) et le cycle 4 (trois autres années du collège) aurait pu s’inscrire dans une démarche volontariste de ce type avec l’arrivée de la deuxième langue vivante en classe de cinquième, que nous avions saluée ici à son annonce. Mais les autres décisions concernant les moyens transférés pour compenser cette création, comme les réductions horaires, le resserrement et l’inégalité territoriale flagrante de la diversification linguistique, transférée majoritairement à l’appréciation d’instances décisionnelles locales, furent rapidement porteuses de désillusions. Si l’on ajoute l’absence de véritable formation continue des collègues concernés, en particulier pour ceux du primaire où la formation initiale fait aussi majoritairement défaut – les ressources numériques à télécharger sur le site Eduscol du ministère ne pouvant décemment être qualifiées de formation – et les compétences pédagogiques très aléatoires de certains intervenants en langues vivantes étrangères et régionales, notamment dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires ou EPI, la liste des mesures correctives qui s’avéreront nécessaires ne fait que s’allonger. Les collègues des diverses langues vivantes et régionales concernées auront pu constater à la rentrée, sur le terrain, la réalité de ces critiques que l’APLV a émises au fur et à mesure de la publication des modalités prévues pour la mise en œuvre de ces réformes, tout en soulignant aussi certaines évolutions positives au niveau des approches didactiques qui ne pourront cependant pas être appliquées concrètement, faute de moyens adéquats.
Tout en regrettant l’absence actuelle de réactivité des responsables éducatifs de notre pays, de la Ministre et des membres de son cabinet en particulier, à la disponibilité permanente de l’APLV pour un dialogue constructif débouchant sur la mise en œuvre d’une véritable politique linguistique de qualité sur le long terme dans notre pays, notre association poursuit sa démarche de réflexion, d’évaluation, et de proposition. Pour ce faire, elle s’appuie sur les travaux des experts en didactique des langues et sur les liens qu’elle entretient avec ses associations adhérentes, ainsi qu’avec ses divers partenaires associatifs et syndicaux, dans une symbiose entre recherche et pratique. Après avoir organisé l’an dernier une journée d’étude sur l’enseignement des langues vivantes à l’école élémentaire avec le SNUipp, qui a permis un dialogue fructueux entre chercheurs et praticiens, en soulignant aussi les besoins criants de formation initiale et continue des enseignants concernés, l’APLV projette actuellement avec le SNES une journée d’étude sur l’enseignement des langues vivantes dans le secondaire. Au-delà de l’actualité liée aux réformes actuelles concernant les programmes des cycles 3 et 4 et le collège, les récentes propositions contenues dans le rapport de la Fondation Terra Nova à propos du baccalauréat montrent, avec leur vision strictement utilitariste du parcours de l’apprenant, l’importance des risques de remise en cause de la qualité comme de la diversification des enseignements de langues vivantes étrangères et régionales dans l’ensemble de l’enseignement secondaire, et au-delà dans l’enseignement supérieur. Pris dans le tourbillon des évènements actuels nécessitant des mesures décidées dans l’urgence, ne disposant pas du temps et du recul pour approfondir leur réflexion, les responsables politiques peuvent être amenés à intégrer dans leurs décisions les conseils émanant de tels rapports, alors que leurs propres partis ont souvent délaissé ce travail de fond dans la durée, au profit de combats électoraux permanents internes et externes. Des débats sont donc nécessaires pour faire entendre la voix des spécialistes, chercheurs universitaires comme praticiens de terrain, alors que semblent dominer dans la période les élucubrations de think tanks, ou groupes dits de réflexion prospective, dont des membres appartenant essentiellement à des milieux extérieurs à l’éducation érigent parfois en doctrines des propos dignes de comptoirs. Ceux-ci sont souvent inspirés, soit par des considérations relevant d’une approche économique où l’éducation ne serait qu’un service marchand parmi les autres et non plus un domaine régalien avec les engagements de dépenses publiques qu’il induit, soit par des approches purement utilitaristes réduisant les parcours de l’élève et de l’étudiant aux seules disciplines utiles à son métier futur, soit par des idées politiques paradoxales, sacrifiant les aspirations d’une formation diversifiée et ouverte de qualité pour le plus grand nombre de jeunes sur l’autel d’un égalitarisme nivelant les différences de parcours, de progression et d’accès à des enseignements de haut niveau dans le cadre de la scolarité obligatoire. Mais toutes ces propositions aboutissent à une réduction drastique des coûts et la campagne présidentielle à venir ne se transformera certainement pas non plus chez un certain nombre de candidats en concours pour l’augmentation de budgets destinés à promouvoir une véritable égalité des chances en matière d’éducation. Dans ce contexte, l’apprentissage diversifié de langues-cultures que sont les langues vivantes étrangères et régionales avec des enseignants hautement qualifiés disposant d’un horaire suffisant, comme le recommandent l’ensemble des travaux scientifiques en la matière, constitue de facto un obstacle majeur à la mise en œuvre de telles économies.
Les journées d’étude co-organisées par l’APLV répondent à cette nécessité d’un débat approfondi et sont naturellement ouvertes prioritairement aux collègues, actuels ou futurs adhérents et/ou abonnés des Langues Modernes, ainsi qu’à nos partenaires associatifs qui peuvent aussi contribuer au travail de l’APLV par leurs interventions lors de ces journées, comme par la rédaction d’articles dans notre publication, en répondant aux appels thématiques à contribution publiés régulièrement sur le site de l’APLV. Après deux numéros importants consécutifs consacrés à la traduction, cette livraison des Langues Modernes, dédiée à l’actualité de l’approche actionnelle en didactique des langues, répond à l’objectif permanent de réflexion théorique et d’information pédagogique dans un souci de contribution active à la formation des collègues de tous niveaux d’enseignement, alors qu’elle est réduite à la portion congrue, voire est souvent inexistante au niveau institutionnel. Je tiens à remercier l’équipe rédactionnelle et, parmi ses membres, tout particulièrement Laure Peskine, dont les compétences, dans le cadre de l’appui rédactionnel au rédacteur en chef qu’elle assure depuis la prise de fonction de Pascal Lenoir avec le numéro 4/2014, permettent cette fois encore la parution régulière de la revue de l’APLV, malgré les contraintes diverses de la période.
L’APLV renouvelle comme à l’accoutumée, en fin d’année civile, un tiers de son conseil d’administration. Je pense vous avoir indiqué dans ma note l’ampleur des enjeux pour l’avenir de notre métier et nos disciplines, alors que les responsables de notre association ne peuvent actuellement être simultanément sur tous les fronts. Je vous appelle donc à participer activement à la vie de notre association, car il est plus que jamais nécessaire qu’un grand nombre d’enseignants de langues vivantes étrangères et régionales de tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire, supérieur), et, parmi eux, de jeunes collègues, s’impliquent dans l’animation de la plus ancienne et seule association française plurilingue regroupant les langues vivantes enseignées dans notre pays de la maternelle à l’université. Pour être candidat au conseil d’administration il faut être adhérent de l’association depuis deux années pleines au moment de l’élection et cette année faire acte de candidature jusqu’au 30 septembre. Mais il est très important aussi que les adhérents participent à l’élection des candidats au conseil d’administration, ce qui est le premier acte associatif après l’adhésion : vous trouverez les modalités du vote par correspondance dès son ouverture sur le site de l’APLV. Le vote prendra fin lors de l’Assemblée Générale où les membres présents peuvent participer au vote en déposant leur bulletin dans l’urne et participer également aux votes sur les rapports d’activité et de gestion financière de l’association. Je me réjouirai de vous y rencontrer : le lieu et la date figureront également sur le site de notre association. L’adhésion (ou la ré-adhésion) avec abonnement à notre revue étant de toute manière la première étape de cette démarche solidaire et constructive, je tiens à vous en remercier, tout en sollicitant, selon vos possibilités, votre implication active dans la vie des instances pour y permettre la représentativité de toutes nos langues et de tous les niveaux d’enseignement.
Je vous souhaite donc, a posteriori, une rentrée scolaire ou universitaire aussi bonne que possible, malgré toutes les difficultés actuelles, avec les joies et satisfactions que peut nous réserver l’exercice de notre métier dans la salle de classe ou l’amphithéâtre, ainsi qu’une excellente lecture de ce nouveau numéro des Langues Modernes, coordonné par notre jeune collègue Émilie Perrichon.