Calendrier :
Publication de l’appel : juillet 2019.
Soumission des propositions d’articles (3000 signes maximum y compris les indications bibliographiques) à la coordonnatrice et à la rédactrice en chef jusqu’au 2 septembre 2019.
Réponse des coordonnatrices et de rédactrice en chef : 15 septembre 2019.
Retour des articles à la coordonnatrice et à la rédactrice en chef : 20 décembre 2019.
Examen par le comité de lecture : 25 janvier 2020.
Retour des articles finalisés : 15 mars 2020.
Publication du numéro : juin 2020.
Contacts :
Claire Chaplier : claire.chaplier@univ-tlse3.fr, Émilie Lumière : emilie.lumiere@univ-tlse2.fr
Copie à la rédactrice en chef des Langues Modernes, Émilie Perrichon : redaction.languesmodernes@gmail.com
Le numéro des Langues Modernes 2/2020 s’intéressera au rôle des sens et des émotions dans l’enseignement-apprentissage d’une langue-culture au sein de l’enseignement secondaire et supérieur.
Depuis quelques décennies, nous savons qu’émotion et cognition ne doivent pas être séparées. Les travaux d’Antonio Damasio (2006, 2010) démontrent que les processus émotionnels sont indissociables du raisonnement logique. « Les émotions ne sont pas des compléments. Elles sont au cœur même de la vie mentale des êtres humains […] font la jonction entre ce qui est important pour chacun de nous et le monde des personnes, les choses et les événements » (Oatley & Jenkins, 1996 : 122). La dimension de l’émotion est très importante dans l’interaction alors qu’elle est peu prise en charge dans la classe de langue. Pour Boris Cyrulink, « avant de parler, il faut aimer. Pour apprendre une langue, il ne faut pas seulement assimiler les sons, les mots, les règles, il faut acquérir la manière d’y traduire des sentiments » (2000 : 44). Les sens et les émotions font partie de l’individu et ne peuvent être oubliés ou mis sous silence lors d’un cours de langue-culture(ou de tout autre discipline). D’ailleurs, le neurobiologiste Francisco Varela (1993) disait que « la perception sensorielle doit être considérée comme la base du langage humain ». Cependant, les recherches sur le rôle des sens et des émotions dans l’apprentissage ne s’accordent pas toujours avec les textes institutionnels ou la faisabilité au sein de l’institution.
D’un côté, le système scolaire et universitaire a tendance à agir de manière compartimenté. En effet, il est souvent stipulé que l’acquisition « des bases de la langue » doit se faire avant de créer des situations de communication qui consistent à échanger de l’information en contexte. Or, ceci n’est qu’un aspect de l’échange et ne peut refléter la complexité et la richesse de l’interaction humaine (Aden, 2009). L’enseignement secondaire et supérieur a tendance à dissocier le corps de l’élève de son cerveau, comme s’il ne s’adressait qu’à ce dernier. Parler nécessite d’improviser en continu, ce qui implique que chaque interlocuteur doive décoder en permanence ce que l’autre veut faire, veut dire.
D’un autre côté, le fonctionnement biologique et social de l’individu se fait de manière globale, en interaction avec les éléments qui l’entourent. Au cours de notre existence, nous apprenons de notre contact avec l’environnement. Les études en imagerie ont mis en évidence que l’intégration multisensorielle se produit à différents niveaux de la hiérarchie cérébrale et implique différents types de connexions (ascendantes, descendantes et transverses) (Hillairet de Boisferon, 2010). Jacques Lecoq situe l’origine du langage dans la relation sensorimotrice à l’environnement. Quant à Joëlle Aden (2013), elle nous rappelle que « nos langues émergent dans un magma langagier sensoriel ; elles adviennent dans le besoin et le désir d’entrer en relation avec nos proches, elles sont à la fois biologiques et culturelles » (2). Les intentions, les émotions que nous formulons avec des mots, émergent par l’interaction, et la langue en est le résultat (Aden, 2009). Il y a donc couplage structurel entre action et langage dans la relation à soi, aux autres et à l’environnement : « le langage est fondamentalement une manière de coupler des individus à l’intérieur d’une espèce pour la coordination de l’action », selon Francisco Varela (Trocmé-Fabre, 1993).
Un grand nombre de recherches récentes en neurosciences et en psychologie montre que le corps et les émotions ont un rôle crucial dans les apprentissages et renouvelle la question de l’appropriation d’une langue-culture. Dans des conceptions plus récentes comme l’émergentisme, le « communicatif » est ce qui est visible, il « s’appuie d’abord sur une dynamique expérientielle et relationnelle qui constitue le fondement de la communication » (Castellotti, 2017). La communication n’est donc pas première, mais subordonnée à la relation à l’autre. La transmission de connaissances passe par la relation avec l’autre à travers l’expérience. Dans ce cas, on « ‘s’approprie’ une ou des ‘langues-cultures’ » , ce qui revient à confronter ces perceptions/sensations/interprétations/traductions du monde, en fonction d’histoires et de projets potentiellement différents, voire conflictuels » (Castellotti, 2017). On peut également envisager le paradigme énactif [1] (Varela et al., 1993). En effet, selon Humberto Maturana et Francisco Varela (1994 : 189), « il n’y a pas de transmission d’information dans la communication ». Pour ces auteurs, les comportements communicatifs sont innés ou acquis, c’est-à-dire qu’ils peuvent dépendre de l’organisme lui-même et/ou de son interaction avec le milieu dans lequel il se développe. « Nous sommes dans le langage » (Ibid. : 204-205). C’est pourquoi Joëlle Aden (2012, 2014) nous invite à apprendre à « translangager », à donner une place au corps et à l’affect dans les activités langagières. Plutôt qu’apprendre à « parler une autre langue », est-il préférable, selon cette auteure, d’apprendre à langager, c’est-à-dire faire l’expérience vivante de la relation et dans la relation à l’autre. Elle utilise le mot translangager pour décrire « l’acte dynamique de reliance à soi, aux autres et à l’environnement par lequel émergent en permanence des sens partagés entre les humains. Les humains, comme tous les êtres vivants, mettent en synergie tous les moyens qui leur sont disponibles (postures, gestes, signes, langues, émotions) pour se coupler structuralement (Varela) dans ces ‘espaces-entre’ » (Aden, 2013 : 7).
Si l’approche par les sens et les émotions (« l’approche sensible ») n’est pas nouvelle dans l’enseignement-apprentissage en primaire et en secondaire (TPR, Intelligences Multiples, Montessori, …), cette approche n’est pas souvent envisagée dans les universités/parcours spécialisé(e)s en sciences expérimentales, formelles, humaines et sociales. Pourtant, comme le rappelle Joëlle Aden (2013 : 104) : « Les langues ont un ancrage biologique et sensible et elles sont intégrées à un réseau de systèmes complexes permettant de faire émerger du sens partagé au travers de l’action ». S’appuyant sur des données en neurosciences, Joëlle Aden (2014) prend en compte, dans la pédagogie des langues, ce que Jacques Lecoq (1997) appelle « ce langage silencieux qui nous relie émotionnellement au-delà des mots ». Elle souligne en particulier le rôle des mécanismes d’empathie dans les interactions langagières et les mettra en lien avec la théorie des marqueurs somatiques du neurologue Antonio Damasio (2010).
Dans ce numéro, il s’agit de s’interroger sur les pratiques, les effets, les contraintes, l’intérêt d’un enseignement de langue-culture dans le secondaire et dans le supérieur à destination d’étudiants non spécialistes de langue à partir, notamment, du visuel (image fixe et animée), du corporel (théâtre, danse, etc.), de la musique, de l’écriture par l’imaginaire ou encore du jeu.
Les contributions attendues porteront ainsi un regard pluri- ou interdisciplinaire susceptible d’éclairer de façon variée l’enseignement/apprentissage d’une langue-culture dans l’enseignement secondaire et supérieur, qui tienne compte des émotions et/ou des sens. En partageant des points de vue et des expériences, elles offriront aux lecteurs des ressources théoriques et pratiques leur permettant de poursuivre leurs réflexions et leurs actions sur le terrain.
Plus précisément, les contributions pourront porter sur les axes suivants :
• Quels dispositifs pédagogiques permettent de susciter chez l’apprenant un apprentissage « sensible » de la langue-culture ?
• Dans quelle mesure un enseignement-apprentissage par la stimulation des sens et des émotions est-il bénéfique pour l’apprenant ? Sur quels aspects en particulier (linguistiques, pragmatiques, culturels, etc.) ?
• Comment cette approche peut-elle favoriser une « inter-sensibilité » ? Et comment cette inter-sensibilité peut-elle favoriser l’apprentissage d’une langue-culture, et au-delà ?
• Quelles contraintes un enseignement-apprentissage favorisant le visuel, le corporel, l’imaginaire ou le jeu suppose-t-il pour l’enseignant, pour l’institution, pour la société ? Comment les surmonter ? Quels seraient les besoins, en formation notamment ?
• Comment concilier un enseignement de langue-culture dans le supérieur tourné vers la spécialisation des étudiants, avec une approche « sensible » ? Que peut apporter une telle approche à un enseignement de langue-culture de spécialité ?
• Comment envisager une collaboration avec les enseignants de langue, de spécialité, des artistes et des professionnels des domaines de formation des étudiants ?
• Dans quelle mesure l’approche sensible constitue-t-elle une compétence langagière à part entière ?
• Quel rôle ont les émotions et les sens dans la pratique enseignante ? Comment ces émotions et sens sont-ils pris ou devraient-ils être pris en compte ?
Bibliographie
Aden, Joëlle. (2009). « Improvisation dans le jeu théâtral et acquisition de stratégies d’interaction », dans J. Aden (dir.), Didactique des langues-cultures : univers de croyance et contextes, Paris, Manuscrit Recherche – Université, p. 77-99.
Aden, Joëlle. (2012). « La Médiation linguistique au fondement du sens partagé : vers un paradigme de l’énaction en didactique des langues ». ÉLA, 2012/3 n° 167, p. 267-284.
Aden, Joëlle. (2013). « De la langue en mouvement à la parole vivante : théâtre et didactique des langues ». Langages 4 (192), 101 – 110. https://www.cairn.info/revue-langages-2013-4-page-101.htm.
Aden, Joëlle. (2014). Empathie et pratiques théâtrales en didactique des langues, Éditions du CRINI N°6.
Castellotti, Véronique. (2017). « Réponse à Heather Hilton : Expérience, diversité, réception, relation ou : la partie immergée de l’appropriation ». Recherches en didactique des langues et des cultures 14(1). http://journals.openedition.org/rdlc/1094 ; DOI : 10.4000/rdlc.1094
Cyrulnik, Boris. (2000). Les nourritures affectives. Paris : Odile Jacob.
Damasio, Antonio (2010). L’autre moi-même, Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions. Paris : Odile Jacob, 2e édition.
Damasio, Antonio (2006). L’erreur de Descartes. Paris : Odile Jacob, 2e édition.
Hillairet de Boisferon, Anne. 2010. Apprentissage multisensoriel de lettres et de formes abstraites chez les jeunes enfants et les adultes. Thèse de Psychologie. Université de Grenoble.
Lecoq, Jacques. (1997). Le corps poétique un enseignement de la création théâtrale. Paris : Actes Sud-Papiers.
Maturana, Humberto & Varela, Francisco. (1994, version française). L’arbre de la connaissance. Racines biologiques de la compréhension humaine. Éditions Addison-Wesley France, S.A.
Oatley, K. & J. Jenkins. (1996). Understanding Emotions. Cambridge, MA : Blackwell.
Trocmé-Fabre, Hélène. (1993.) Né pour Apprendre. Vidéogramme . SFRS, info@cerimes.fr.