Réaction de l’APLV à la circulaire sur les langues vivantes parue au B.O. du 15 décembre

samedi 17 décembre 2022

Comme nous le signalons par ailleurs (https://aplv-languesmodernes.org/spip.php?article9690), au Bulletin Officiel n°47 du 15 décembre vient d’être publiée une circulaire intitulée « Enseignement de l’anglais et des langues vivantes étrangères tout au long de la scolarité obligatoire. Mesures pour améliorer les apprentissages des élèves » (https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo47/MENE2234752C.htm). Cette circulaire renvoie à la publication le même jour sur le site Eduscol de référentiels pour l’enseignement dans quatre langues (allemand, anglais, espagnol, italien), « Repères annuels de progression et attendus de fin d’année du CP à la 3e » (https://eduscol.education.fr/137/reperes-annuels-de-progression-et-attendus-de-fin-d-annee-du-cp-la-3e). A deux jours du départ en vacances de Noël, le ministère lance un énième plan langues, ou une énième série de directives pour les professeurs.

Le ministère s’inquiète à juste titre des résultats des tests Evalang de fin de 3e, déclarés « préoccupants ». Au lieu de s’interroger sur les causes de ces résultats, au lieu de lire les deux courriers, toujours sans réponse, que l’APLV a adressés au ministre et d’inviter notre association, comme elle le demande, à en discuter, le ministère préfère se et nous livrer à une nouvelle séance de culpabilisation et d’auto-flagellation et renforcer l’emprise de la technocratie et du contrôle de performance sur l’enseignement. L’analyse de l’APLV est qu’aucune conclusion ne peut et ne doit être tirée des résultats aux tests Evalang puisqu’ils évaluent des savoirs et des compétences que nous n’enseignons pas à nos élèves de 3e et le font au moyen de QCM, exercices que nous pratiquons peu, puisque, par définition, ils n’ont aucune dimension communicative ou actionnelle. En outre, les tests Evalang sont évolutifs et chronométrés, ce qui signifie qu’un élève qui ne comprend pas la consigne, répond au hasard ou a un casque défaillant restera au niveau A1 et ne se verra jamais proposer un item de niveau A2.

Le bon sens voudrait que l’Education Nationale renonce à Evalang, mais les cadres du ministère ne pensent pas en termes de pédagogie ou de docimologie. Ils ne pensent qu’en termes d’instruments managériaux de pilotage. Donc, non seulement on conserve Evalang, on rétablit l’attestation de niveau de langue adossée au baccalauréat, mais on encourage l’évaluationnite et le bachotage, en prônant « la mise en place d’un suivi régulier des élèves par le recours à des outils de positionnement », l’affinage du « degré de précision » des évaluations, la familiarisation « aux tests standardisés ». Si le ministère était davantage à l’écoute des professeurs, ses décideurs auraient compris que l’épuisement des enseignants vient d’un excès d’évaluations, de contrôle par des indicateurs de performance, de tâches administratives numérisées, qui a un effet délétère sur les contenus de l’enseignement, sur les relations entre professeurs et élèves et sur la motivation des enseignants. L’APLV demande qu’on remette du sens dans les enseignements et qu’on permette aux professeurs de concevoir leurs propres instruments d’évaluation, puisqu’ils sont les seuls à savoir ce qui s’enseigne dans leurs cours. Sans compter qu’il y a fort à parier qu’un enseignement communicatif, actif et intégré, dans de bonnes conditions de travail, permettrait sans doute d’améliorer le niveau des élèves de manière plus profonde et plus durable que le bachotage pour réussir des tests standardisés.

Dans cette logique, le très long catalogue des repères annuels de progression publié sur Eduscol interroge. On voit difficilement quel usage les professeurs vont pouvoir faire de ces litanies de critères d’évaluation forcément toujours subjectifs et imparfaits. Ce travail colossal contribue difficilement à donner un sens aux apprentissages, d’abord parce qu’aucun élève n’apprend en suivant la progression établie par l’institution, l’auteur d’un manuel ou son professeur, ensuite parce que ce nouvel instrument est une contrainte supplémentaire qui s’ajoute à la très longue liste de celles qui brident la liberté pédagogique des professeurs. Le ministère « vend » son référentiel comme permettant « aux équipes pédagogiques de mener un enseignement rigoureux, explicite et progressif ». On craint de lire ici entre les lignes une condamnation des approches communicatives et actionnelles et une préconisation de séquences brèves autour de savoirs ou savoir-faire à enseigner successivement et à évaluer dans la foulée, sans vision de progression à long terme.

Par ailleurs, l’APLV, qui fédère des professeurs de toutes les langues enseignées à l’école française, dénonce très fermement la logique de promotion spécifique de l’anglais à l’œuvre derrière la publication de la circulaire du BO. Son titre ne laisse aucune ambiguïté sur la pensée sous-jacente : « Enseignement de l’anglais et des langues vivantes étrangères ». Une fois de plus, « l’oubli » des langues vivantes régionales montre l’impatience des cadres du ministère à les voir disparaître du paysage. Vanter « le plurilinguisme à la française qui permet aux langues de se nourrir les unes des autres » en ne mentionnant pas le bilinguisme langue régionale - français est une marque supplémentaire de mépris à l’égard des langues régionales.

D’autre part, la distinction entre « anglais » et « langues vivantes étrangères » ne peut que surprendre. L’anglais ne serait-il plus une langue étrangère ? Les auteurs de la circulaire anticipent cette objection en écrivant que les langues se nourrissent les unes des autres, « les progrès dans l’une confortant les progrès dans une autre », mais cela est vrai dans tous les sens et quelles que soient les langues en question. Si une meilleure maîtrise de l’anglais facilitera, on l’espère, le renforcement des compétences en français et l’apprentissage de l’espagnol, l’apprentissage du corse ou de l’allemand aura évidemment le même effet sur le français et sur l’anglais.

Le rôle particulier dévolu à l’anglais dans la circulaire du BO vise clairement à aider le pays à retrouver sa face dans les évaluations internationales, notamment Pisa 2025, qui portera sur les résultats en anglais. D’où l’obsession des résultats aux tests Evalang qui, rappelons-le, ne portent que sur l’anglais, d’où la labellisation anglais+ des CALVE (Commissions académiques sur l’enseignement des langues vivantes étrangères) annoncée en conclusion de la circulaire, alors même que ces commissions ont pour fonction de mettre en place une carte des langues vivantes enseignées dans l’académie.

La circulaire du 15 décembre 2022 évoque un certain nombre de pistes qui, aux yeux de l’APLV, vont dans le sens d’un développement efficace de l’enseignement des langues : déploiement d’écoles bilingues, enseignement de matières intégré aux langues étrangères (EMILE-DNL), dispositifs bi-langues, aides à la mobilité des élèves et des professeurs, amélioration des conditions d’accueil et d’hébergement des assistants étrangers. Tous ces points font l’objet de nos demandes répétées. Mais, pour l’APLV, cette circulaire, radicalement soumise à une vision utilitariste et rentabiliste des langues, est globalement inacceptable, parce qu’une telle vision de l’enseignement, démobilisante, voire méprisante, pour les professeurs comme pour les élèves, dont elle mécanise le travail en le rendant moins créatif et moins émancipateur, est totalement contre-productive.