Lettre ouverte de l’ADEPBA sur les conditions d’enseignement du portugais

samedi 25 mars 2023

Après la pétition de l’ADEPBA (Association pour le Développement des Études Portugaises Brésiliennes d’Afrique et d’Asie lusophones) qui a recueilli plus de 7000 signatures, - sans réponse du Ministère de l’Education nationale - les acteurs de l’enseignement de la langue portugaise en France lancent un nouvel appel aux autorités nationales et académiques : une alerte pour que soient prises en compte les graves difficultés de l’enseignement du portugais, pourtant l’une des langues d’Europe les plus parlées dans le monde !

Nous, enseignants du niveau primaire, secondaire (général, professionnel, technologique) et supérieur, parents d’élèves, responsables associatifs, constatons chaque jour la réduction de l’offre d’enseignement de la langue portugaise alors qu’elle est la troisième langue européenne la plus parlée dans le monde et donc une grande langue de communication internationale. Malgré l’importance de cette langue, nous assistons à une forte dégradation de son enseignement, ce qui nous laisse en proie à un sentiment de totale impuissance car la situation est irrationnelle et injuste à bien des égards.

Deux nécessités : continuité des enseignements et diversification de l’offre

En effet, nous sommes démunis face à la réalité vécue dans les classes : rupture de continuité pédagogique entre le primaire et le secondaire, entre le secondaire et le supérieur, déséquilibre de l’offre d’enseignement du portugais sur le territoire français… Enseignants et élèves pâtissent gravement de ces déserts linguistiques dus à l’absence d’offre de cours et aux discontinuités qui contribuent à la détérioration que subit l’enseignement du portugais depuis quelques années. La disparité de l’offre linguistique représente une inégalité pour les élèves qui veulent apprendre le portugais et pour les professeurs qui souhaitent l’enseigner. Cela crée pour les enseignants des situations d’enseignement précaires, voire insupportables. Nous demandons une meilleure corrélation entre l’offre dans l’enseignement primaire et sa continuité dans l’enseignement secondaire, notamment par la création en collèges de classes bilangues qui s’avèrent indispensables dans chaque département français, création assortie d’une offre linguistique qui permettra aux élèves de poursuivre l’étude de la langue de leur choix. Dans l’attente de cette redéfinition de l’offre linguistique sur le territoire national, il est indispensable que soient accordées des dérogations aux élèves souhaitant poursuivre l’étude du portugais après les cours de EILE en primaire.

En parallèle, il nous paraît primordial qu’une campagne de promotion de la langue portugaise soit réalisée, comme ce fut le cas par le passé, afin de mettre en évidence les nombreux atouts que représente cette langue dans tous les domaines, notamment dans le cadre des négociations commerciales à l’international où elle est une plus-value indiscutable. En effet, le tissu entrepreneurial français sollicite des professionnels maitrisant le portugais car il constitue un atout certain dans les échanges commerciaux, au premier chef au niveau européen (franco-portugais), mais aussi entre la France et les nombreux pays lusophones. Ainsi que le soulignait l’article de Le Monde Étudiant du 02/04/2020, « dans une négociation avec des partenaires étrangers, l’essentiel se trame par exemple au café, ou après la réunion de travail qui s’est tenue dans un anglais souvent lamentable ». Pour cette raison, il nous paraît évident que le portugais doit pouvoir être choisi plus largement au niveau de l’enseignement technique (BTS), comme professionnel, au mieux en option obligatoire (LV1 ou LV2), à défaut en option facultative.

Les effets néfastes de la réforme des lycées et du baccalauréat pour la diversification des langues

La réforme des lycées a créé de nouveaux obstacles à la diversification de l’enseignement des langues vivantes, et donc à l’étude du portugais. Cette réforme a contribué à accorder une place toujours plus importante à la langue anglaise au détriment des autres. En effet, la nouvelle organisation des enseignements, les coefficients, les horaires, tout est défavorable à la diversité des langues enseignées, ce qui risque d’être fatal à l’enseignement du portugais.

Un phénomène tout aussi inquiétant est à l’œuvre pour ce qui est de l’évaluation au baccalauréat. En effet, précédemment, la passation des langues en épreuves finales permettait aux élèves de s’inscrire dans les langues de leur choix et dans l’ordre de leur choix. Aujourd’hui l’évaluation en langues vivantes (LVA/ LVB/ LVC) étant en contrôle continu, seules les langues enseignées dans un établissement peuvent être présentées au baccalauréat. Encore une fois, cette nouvelle disposition écarte les langues moins enseignées qui pouvaient précédemment être choisies, indépendamment de la nature des langues étudiées et même si elles n’étaient pas proposées par l’établissement.

Enfin, la complexité de la construction des emplois du temps, étant donné les nombreuses combinaisons des spécialités (sept ou huit proposées par établissement, trois spécialités choisies en première, deux en terminale) fait que les enseignements optionnels sont relégués aux créneaux horaires de fin de journée ou le mercredi après-midi ! Des conditions d’enseignement et d’étude aussi peu favorables qu’attrayantes !

Un indispensable recrutement de nouveaux professeurs

Accordez une place à l’enseignement de la langue portugaise en accord avec celle qu’elle a dans le monde actuel et futur !

Dans le contexte européen qui prône le plurilinguisme, nous demandons que les futurs professeurs des écoles puissent choisir le portugais comme langue vivante, de manière à pouvoir l’enseigner, au même titre que les autres langues éligibles pour ce concours. Afin de pouvoir enseigner dans des conditions raisonnables l’une des toutes premières langues parlées dans le monde, les établissements doivent pouvoir disposer de davantage d’heures entièrement dédiées à l’enseignement du portugais en classe bilangue, en LVB et en LVC. Les effectifs de portugais n’ont cessé d’augmenter au cours des 20 dernières années, et ce, malgré la fluctuation du nombre de postes aux concours et les suppressions de postes d’enseignement. Ceci traduit l’indéniable et légitime intérêt des élèves français pour la langue portugaise, mais montre également le dévouement des enseignants de portugais, très fortement mis à l’épreuve ces derniers temps.

Bien que l’on ait constaté ces dix dernières années des ouvertures de postes aux concours, le nombre d’enseignants recrutés ne suffit pas à combler les besoins de la discipline. Ils suffisent à peine à remplacer les départs à la retraite. Certains enseignants sont contraints de travailler sur trois établissements, dans des conditions de fatigue et de stress inacceptables. Par ailleurs, le nombre trop restreint de professeurs de portugais fait que les mêmes enseignants sont sans cesse sollicités pour des missions autres que celle de l’enseignement (commissions de sujets, commissions de BTS, de CAP, interrogations orales multiples aux examens, interventions dans les écoles primaires ou les collèges et autres actions de promotion de la discipline), multipliant ainsi les absences administratives, qui finissent par porter préjudice à l’image de notre discipline. Nombreux sont ceux qui sont exténués par ces situations, et parfois à la limite du burn out. Les enseignants ont besoin d’être devant leurs élèves, autant que les élèves ont besoin que leurs enseignants soient présents auprès d’eux.

Enfin, par souci d’équité, nous demandons également que l’ouverture des concours de recrutement se fasse au même moment que pour les autres disciplines, c’est à dire au printemps de l’année qui précède le concours, et non en octobre, voire courant novembre comme cela arrive constamment en raison de décisions tardives du ministère, sans aucun respect pour le travail des enseignants qui souhaiteraient pouvoir s’y présenter tout en assurant au mieux leur mission d’enseignement. Cela constitue une criante inégalité entre les disciplines et montre le peu d’égards accordé aux enseignants de la langue portugaise.

Donnez-nous les moyens de remplir correctement notre mission d’enseignants ! Accordez-nous le même droit à passer les concours dans des conditions acceptables !


ADEPBA