La note de la présidente 1/2024, par Michèle Valentin

mercredi 17 avril 2024

Cette première note de l’année 2024 donne l’occasion à la nouvelle présidente de livrer quelques éléments de réflexion sur la place des langues vivantes dans le système éducatif régi par des lois qui se succèdent à un rythme soutenu voire effréné.

On sait depuis Durkheim que les modifications des systèmes d’éducation ne sont pas imputables à des erreurs ; s’ils changent c’est « que la société a changé elle-même ». Le rythme frénétique des réformes auquel est soumis le système scolaire est-il uniquement la conséquence des transformations rapides de la société ? Est-il le reflet des difficultés de la sphère politique à prendre en compte l’importance des enjeux sociétaux, éducatifs, formatifs et professionnels en jeu à l’école ? Quelles sont les fonctions et l’importance attribuées à l’enseignement des langues vivantes dans un paysage aussi évolutif ?

Un rapide survol des textes de ces dernières décennies concernant l’enseignement primaire et secondaire mais aussi la formation initiale des enseignants montre en effet une accélération des réformes (1989, 2008, 2010, 2013, 2019, 2024 [1] ?). Derrière chacune de ces lois, il y a un ministre différent … Si l’on retourne quelques années en arrière, on observe qu’après le ministère de Jean-Michel Blanquer qui est resté aux commandes pour une durée inhabituellement longue dans le contexte actuel (2018-2022), quatre autres ministres se sont succédé à la tête du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse [2]

La multiplication des lois et des textes, la succession accélérée des réformes et des ministres ne peut que provoquer le scepticisme et l’attentisme chez beaucoup d’enseignants et de parents d’élèves. Or, si l’on s’en tient à l’intitulé des lois, elles semblent en apparence aller dans le sens d’une meilleure adaptation de l’école à la société, avec l’idée de refondation en 1989 et d’un avenir plus serein avec la loi pour une école de la confiance en 2019 – comme si celle-ci n’existait pas auparavant. Puis en décembre 2023, il est question de « choc des savoirs ». Après la refondation survient le choc… À l’heure où j’écris ce texte, on ne sait pas encore ce qu’il va advenir de ces mesures. On peut tout au plus se risquer à imaginer que comme la plupart de ses prédécesseurs, l’actuelle ministre va prendre des mesures destinées à laisser une empreinte personnelle, et à se positionner politiquement.

Qu’en est-il dans tout cela des langues étrangères et régionales et des politiques liées à leur enseignement en France ? La demande sociale de la part des familles est suffisamment insistante et constante ces dernières années pour être reconnue pour ce qu’elle est, une tendance sociétale majeure. En effet, les parents soucieux de l’avenir professionnel de leurs enfants souhaitent qu’ils apprennent a minima l’anglais. Les plus avertis d’entre eux visent la maîtrise de plusieurs langues pour disposer d’atouts supplémentaires sur le marché du travail. Que propose dès lors le système éducatif français ?

D’après le site du CNESCO [3] (Centre national d’étude des systèmes scolaires), « en Europe, la France fait désormais partie des trois pays où la durée d’apprentissage des langues est la plus importante (plus de 1 000 heures cumulées à l’école et au collège), avec Malte et l’Allemagne ». Pourtant, toujours selon le CNESCO [4], les résultats des évaluations internationales classent nos élèves en-deçà des performances européennes moyennes. Certains discours mettent en cause la formation des enseignants ainsi que les méthodes, faisant l’impasse sur les conditions matérielles de l’enseignement, la lourdeur des effectifs et le faible nombre d’heures consacrées à l’enseignement des langues. Les professeurs de langues vivantes sont recrutés à un haut niveau et on ne peut que rendre hommage à leur motivation, à leur engagement et à leur sérieux. Mais enseigner est exigeant et nécessiterait un accompagnement tout au long de la vie professionnelle. Dans le maelstrom des réformes, la question de la formation des enseignants se polarise sur la formation initiale. Pourtant, la formation continue est elle-aussi essentielle, mais elle est bien souvent absente des préoccupations, alors même que l’évolution des méthodes d’enseignement est considérée comme essentielle pour adapter l’école aux évolutions de la société. En outre, derrière les méthodes se joue autre chose, la question des valeurs, peu discutée, et qui semble comme aller de soi. Est-on sûr, par exemple, que les valeurs citoyennes portées par l’Europe recouvrent à l’identique celles transmises aux élèves français selon les principes hérités du siècle des Lumières et de la Révolution française qui sous-tendent les textes officiels de l’Éducation nationale ?

Il faut enfin noter que les résultats desdites réformes sont à peine évalués (quand ils le sont), que déjà, une nouvelle réforme pointe son nez. La conséquence est que la notion même de changement perd toute légitimité pour un certain nombre de professeurs ; parallèlement, certains parents se tournent vers des établissements de l’enseignement privé qui, mesurant pleinement l’attractivité des langues vivantes, en font un projet phare.

Dans ce contexte où l’école et la société semblent tâtonner, hésiter ou se complaire dans l’idéalisation du passé, l’APLV continue de porter des valeurs et des axes d’action clairs sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir au fil des notes de cette année.

Notre association milite pour un enseignement de qualité des langues étrangères et régionales et s’engage pour :

– défendre la variété de l’offre des langues vivantes à l’école comme porter les dispositifs intégrant les langues vivantes (classes bilangues, DNL [5], ETLV [6] …) ;

– promouvoir une formation pertinente des professeurs de langue vivante au début de leur carrière et tout au long de leur vie professionnelle ;

– soutenir une approche de l’enseignement des LV fondée sur la communication et l’action (perspective actionnelle) qui laisse la responsabilité de l’évaluation des progrès des élèves à leurs professeurs.

Les savoirs scolaires étant « le fruit de luttes politiques, religieuses et idéologiques » (Harlé, 2010, p. 18 [7]) la possibilité d’agir au service des professeurs de LV, de leurs élèves et de leurs familles existe bel et bien. Saisissons-la.


[1De nouvelles réformes avaient été annoncées le 05 décembre 2023, mais elles ne se sont pas concrétisées à l’heure où je rédige ce texte, en raison d’aléas politiques qui se manifestent par la succession rapide de trois ministres en quelques mois.

[2Pap Ndiaye, Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra et depuis le 08 février dernier, Nicole Belloubet.

[4CNESCO. Langue vivantes étrangères : comment l’école peut-elle mieux accompagner les élèves ? Dossier de synthèse, 2019. https://www.cnesco.fr/fr/langues-vivantes

[5Un enseignement en langue vivante est proposé au lycée à hauteur d’au moins une heure hebdomadaire sur l’horaire normal de tout ou partie du programme d’une autre discipline non linguistique (DNL) ou parfois aussi « dite non linguistique » (DdNL).

[6« L’enseignement technologique en langue vivante (ETLV) repose sur le programme de langue vivante et sur celui de la spécialité qui lui sert d’appui. Il est pris en charge conjointement par deux enseignants, un enseignant de langue vivante et un enseignant de la spécialité de science et technologie concernée. » MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE. Programme de langues vivantes de première et terminale générales et technologiques, enseignements commun et optionnel. 2019. https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/70/3/spe585_annexe2CORR_1063703.pdf

[7HARLÉ, Isabelle. La fabrique des savoirs scolaires. La Dispute, 2010.