« Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques », par Roger-François GAUTHIER, une publication de l’UNESCO (2006)

mardi 24 février 2009
 Christian PUREN

GAUTHIER Roger-François, Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques, UNESCO, Section pour l’Enseignement Secondaire Général, Secteur de l’Education, 2006, 140 p.(ED-2006/WS/64).

Le Café pédagogique, dans sa livraison de « L’expresso » en date du 24 février 2009 renvoie à une intéressante interview de François Gauthier, auteur de cette publication de l’UNESCO datant de 2006. Extrait du passage commenté de cette publication concernant les langues vivantes étrangères.

Extraits de l’avant-propos

Qu’enseigne-t-on aux adolescents aujourd’hui à l’école secondaire ?
Si la réponse officielle à cette question se trouve dans la plupart des politiques éducatives de chaque ministère de l’éducation avec des listes plus ou moins détaillées des matières enseignées, elle ne dit pas toujours de façon claire quelles connaissances et compétences elles sont censées faire acquérir, quel est l’objectif à atteindre et quel type d’individu l’on cherche à former à travers ces contenus : l’homme, l’acteur économique, le citoyen ?
Si l’on constate que de très nombreux pays ont entrepris une ou parfois même plusieurs réformes successives de leur enseignement secondaire, celles-ci ont essentiellement porté sur les systèmes, les structures et les méthodes alors que les contenus sont les éternels oubliés des politiques éducatives. Lorsqu’elle est mise en place, la rénovation des contenus d’enseignement reste souvent superficielle et continue à privilégier les connaissances académiques par rapport aux compétences et plus particulièrement à celles qui sont nécessaires à la vie courante (life skills).
(...)
L’un des objectifs essentiels de cet ouvrage est de démontrer à quel point la question des contenus de l’enseignement secondaire est stratégique. Leur pertinence par rapport aux besoins des jeunes et de la société qu’ils devront construire est en effet fondamentale, plus particulièrement dans un contexte international marqué par la mondialisation où la nécessité de prendre des initiatives pour aller vers un développement durable, lutter contre la pauvreté, bâtir une société de la connaissance sont considérés aujourd’hui de façon unanime comme notre priorité à tous.
En effet, le nombre de jeunes fréquentant l’enseignement secondaire a connu un très fort accroissement au cours de ces dernières années mais la qualité de l’enseignement reste un enjeu considérable. Or, il est clair que celle-ci ne pourra être atteinte sans une véritable politique de reforme des contenus. (p. 2)

Chapitre concernant spécifiquement les langues vivantes étrangères

"Apprendre une langue est donc presque inévitablement sortir de soi, de sa propre culture, et s’ouvrir à l’autre
dans toute son authenticité". (Exergue)

"Langues et cultures humaines

(On enseigne à la fois dans le secondaire selon les situations des langues dites maternelles, étrangères, anciennes, officielles, locales, nationales, régionales, etc. Cette diversité montre l’importance de l’enjeu humain de l’apprentissage des langues dans tous les pays, mais à défaut d’une réflexion d’ensemble sur les objectifs de ces enseignements, on risque de rencontrer des difficultés.)

Que peut-on en effet attendre de l’apprentissage d’une langue ? En facteur commun à sa langue maternelle, en admettant que sa langue maternelle soit enseignée dans le secondaire, ce qui n’est pas le cas général, dans de nombreuses régions du monde, et aux langues apprises après la petite enfance, on peut estimer qu’apprendre une langue c’est apprendre à communiquer (écouter, parler, écrire, lire) au moyen d’outils linguistiques spécifiques ; on fait aussi assez vite l’expérience qu’apprendre une langue c’est toujours devoir prêter une attention consciente au fonctionnement de cet outil linguistique (un francophone qui apprend l’anglais prend par exemple conscience que le système de temps n’est pas directement traduisible d’une langue dans l’autre) ; on comprend vite aussi qu’une langue est utilisée par des hommes et que l’apprendre n’est pas dissociable de la découverte du système de valeurs culturelles de ces hommes. Cela paraît presque de l’ordre du bon sens : or il faut constater qu’on est loin d’inscrire l’apprentissage des différentes langues dans ce schéma, parfois à l’intérieur du même système éducatif : estime-t-on par exemple en tous les cas légitime d’enseigner dans le secondaire à s’exprimer oralement dans... sa langue maternelle ? dans la langue officielle d’enseignement ? reconnaît-on une égale valeur culturelle aux différentes langues pratiquées par les élèves, dans l’école et au dehors ? Faute d’un accord sur ce qu’est apprendre une langue, accord qui permettrait en un second temps de sérier des objectifs raisonnables d’apprentissages langue par langue, on rencontre des élèves qui sont mis en échec scolaire par défaut de maîtrise de la langue, même maternelle, et qui se heurtent de plus à la difficulté d’être dans le secondaire confrontés à des langues différentes, dont l’enseignement n’a pas été pensé en cohérence.

On ne saurait trop exhorter les responsables à concevoir les enseignements de langues comme faisant partie de la même famille et poursuivant les mêmes objectifs, avec des différences de degrés. Cela devrait permettre d’éviter de voir tel ou tel enseignement de langue s’isoler dans des difficultés propres :
• Toutes les langues sont confrontées à l’existence d’un corpus d’œuvres littéraires dont il n’est pas toujours clair qu’il fasse partie du champ des apprentissages. Surtout, parfois, sous l’effet de doutes installés par différents courants de pensée, on ne prend plus « au sérieux » le sens de ces œuvres, mais on en fait un prétexte à des études uniquement « formelles » : il doit être clair que l’objectif des enseignements de langue, et l’enseignement de la littérature fait partie de l’enseignement de langue, est toujours la découverte d’un sens.

Maternelle, étrangère, nationale ou autre, on doit rester vigilant sur ce point dans le second degré qu’on apprend une langue pour dire et comprendre des choses. En outre, il est capital de profiter des enseignements de langue pour donner la parole aux collectivités qui ne l’ont pas toujours : langues minoritaires et langues des populations immigrées doivent faire l’objet d’attentions spécifiques et leur étude doit être non seulement proposée, mais bénéficier aussi à des élèves qui ne proviennent pas des groupes en question. Là encore une problématique d’ensemble sur l’apprentissage des langues peut aider à penser la question de façon adéquate." (pp. 94-95)

Télécharger l’ouvrage de R.F. Gauthier.


"Cela paraît presque de l’ordre du bon sens" (je cite). Oui, assurément, mais ajoutons - bon sens pour bon sens... -, que, comme l’on dit en français, "le bon sens n’est pas la chose du monde la mieux partagée"...

Cette recommandation de l’UNESCO me semble aller dans le sens :

- des orientations du Language Awareness pour les tout débuts de l’enseignement des langues vivantes dans le primaire (voir en France les propositions d’un vieux militant de l’APLV, Michel Candelier, concernant « l’éveil aux langues », qui prend à contre-pied une forte attente sociale relayée par la plupart des médias vis-à-vis d’un fantasmatique "bilinguisme précoce" ;

- et dans le sens d’une "didactique intégrée" des langues dans l’enseignement scolaire, prenant en compte non seulement le français, mais aussi les langues dites "étrangères" ou "régionales", qui sont pour certains élèves leur véritable... "langue maternelle".

En tant d’abord qu’éducateurs, puis non pas en tant qu’enseignants d’allemand, anglais, arabe, etc., mais de "langues-cultures", nous devons désormais considérer de notre responsabilité de mettre nos élèves en mesure d’exploiter cette diversité comme un avantage pour eux-mêmes, parce que c’est une richesse pour tous.

Christian Puren


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