« Franchir les lignes : Gitans/payos, même combat, première saison » de Philippe Fayeton

jeudi 6 mai 2021
 Dautry Régine

L’ouvrage de Philippe Fayeton, Franchir les lignes : Gitans /Payos, même combat, nous fait entrer dans le monde des Gitans et de leur culture.

C’est au premier abord une histoire qui paraît simple : l’histoire d’un jeune homme qui veut apprendre à lire et à écrire. Ce jeune homme, c’est H*, un Gitan de dix-neuf ans, en âge de fonder une famille selon les critères de sa communauté, et qui, pour cela, doit trouver un emploi et donc savoir lire et écrire. Or, bercé au monde de l’oralité et de son quartier de Narbonne, il est illettré. Il veut cependant s’ouvrir un minimum au monde des autres, « franchir les lignes ».

L’auteur, formateur bénévole, et non gitan – payo selon le mot des Gitans – prend en charge son apprentissage de l’écrit. Il nous raconte ce qui n’est pas simplement un processus pédagogique, mais plutôt l’odyssée, ainsi qu’il le dit lui-même, la rencontre entre deux cultures.

Blocages, contournements, colères, compromis, fuites, incompréhension, complicité, tous les jours apportent un inextricable système de causes à effets. C’est passionnant et on est étonné, tout autant que l’auteur, de découvrir à chaque page un nouveau volet de la culture gitane, que H* vit comme figée : « Chez nous, c’est comme ça ! »

Si la place de la culture dans cet apprentissage est prise en compte avec énormément de soin et d’empathie par l’auteur, on reste cependant assez interrogatif sur la démarche pédagogique : on ne sait exactement comment se met en place la maîtrise de l’écrit dont il est difficile de suivre la ligne de conduite et la progression. Ainsi, la première production écrite qui date du 26 juillet 2019 (reproduite p. 36) que H* a faite seul sur son cahier révèle une étonnante maîtrise de la grammaire et du tracé des lettres cursives. Le 26 mars, lors de sa première rencontre avec l’auteur, il ne savait pas écrire son nom ni lire le nom des rues. Que s’est-il passé entre temps ?

Il est vrai qu’on est dans le monde flou de l’illettrisme et que le contexte, qu’il s’agisse de la perception du temps ou de la notion d’espace, vient littéralement percuter le lecteur beaucoup plus que ne le ferait un récit plus axé sur la méthode mise en place.

Peut-être est-ce dommage et c’est certainement ce qui rend finalement ce livre inclassable : si sa lecture est passionnante par son côté ethnographique et ses nombreuses références culturelles, on aimerait en savoir davantage sur le processus pédagogique et les étapes de l’apprentissage.

Au demeurant, un ouvrage à lire, tout en sachant que le cœur du sujet déborde justement le seul domaine didactique.

Philippe FAYETON, Franchir les lignes : Gitans /Payos, même combat : première saison, Louvain-la-Neuve, Académia-L’Harmattan, « Transitions sociales et résistances », 2020, 160 pages.

Régine DAUTRY