Lettre du Président de l’APLV à M. Jean-Pierre Ventura, Inspecteur de l’Education Nationale de la Circonscription d’Alfortville 5

vendredi 19 décembre 2008
 Sylvestre VANUXEM

Monsieur l’Inspecteur,

J’ai récemment eu connaissance de la note de service numéro 1 adressée aux enseignants de votre circonscription datée du 25 août 2008 et signée de votre main.
En tant que président d’une association d’enseignants de langues qui compte parmi ses membres des professeurs des écoles habilités à l’enseignement de langues vivantes, j’ai été extrêmement surpris d’y lire ceci : « Tout enseignant, habilité ou non, est sensé (sic) enseigner l’anglais dans sa classe (...) Les T1, T2, T3, T4, T5 qui ont eu un enseignement de langue à l’IUFM sont forcément dans cette situation. De même, des enseignants habilités dans d’autres langues devraient pouvoir enseigner l’anglais. (...) Si un enseignant ne se sent pas apte à enseigner l’anglais, il doit le signaler immédiatement en utilisant la fiche de positionnement et demander à entrer en formation. »

Le 26 septembre dernier se tenaient à l’Université de Paris Sorbonne les États Généraux du Multilinguisme organisés conjointement par les Ministères de l’Education Nationale, de la Culture et des Affaires Etrangères dans le cadre de la Présidence française de l’Union Européenne. La Ministre de la Culture, Mme Christine Albanel intervenant en ouverture des travaux et le Ministre de l’Éducation Nationale, et M. Xavier Darcos en clôture, ont tous deux rappelé devant une assemblée de ministres représentant les différents États de l’Union la dimension multilingue de l’Europe, et encouragé les initiatives permettant une meilleure prise de conscience de celle-ci parmi les citoyens européens.

Le fait d’envisager l’enseignement de la seule langue anglaise à l’école primaire est-il en accord avec cette orientation officielle de notre pays, et permet-il aux futurs citoyens européens que sont les écoliers de prendre conscience de cette dimension multilingue ?

Pourquoi se passer des compétences en d’autres langues que l’anglais validées par l’obtention d’une habilitation dont disposent un certain nombre de professeurs des écoles ? Préfère-t-on que ceux-ci enseignent mal une langue qu’ils ne maîtrisent pas bien et n’ont pas été préparés à enseigner ?

Le rôle de l’école primaire est-il d’engager les jeunes élèves, et leurs parents, dans une logique purement utilitariste de l’apprentissage des langues vivantes, oubliant ainsi qu’apprendre une langue c’est d’abord une façon de s’ouvrir l’esprit vers d’autres cultures ?
Si l’on ne peut nier que la connaissance pratique de l’anglais s’avère indispensable dans la plupart des situations professionnelles, notamment, la durée de la scolarité dans notre pays me semble suffisamment longue pour qu’on puisse envisager un tel objectif pour cette langue au moins après l’enseignement primaire.
D’autre part, vos recommandations ne vont pas dans le sens d’une amélioration de
l’apprentissage de l’anglais lui-même puisqu’elles indiquent qu’une vérification des
compétences dans cette langue ou une formation pédagogique sont facultatives.
L’enseignant devant pouvoir déterminer seul s’il se sent « apte à enseigner l’anglais » ou non. L’enseignement de l’anglais, au même titre que les autres matières enseignées en France, ne saurait se pratiquer sans que les formateurs n’aient bénéficié d’une formation spécifique. Nier ainsi les apports de la recherche dans la didactique de l’enseignement des langues menée depuis des années, notamment auprès de jeunes apprenants, me semble particulièrement dommageable pour la qualité d’un apprentissage que le Ministre de l’Education Nationale lui-même souhaite optimal au point d’employer le terme de « bilinguisme ».

En espérant que vous serez sensible à ces remarques, je vous prie d’agréer, Monsieur l’Inspecteur, l’expression de mes salutations distinguées.

Sylvestre Vanuxem,
Président de l’APLV
Lettre du Président de l’APLV à M. J. P. Ventura, IEN, Alfortville
Réponse de M. J. P. Ventura, IEN, Alfortville au président de l’APLV