Paris le 15 décembre 2009
Jean-Yves Petitgirard
Président de l’APLV
À
M. Luc Chatel
Ministre de l’Éducation Nationale
110 rue de Grenelle
75357 Paris SP07
Monsieur le Ministre,
Dans le concert des disciplines touchées par la réforme du lycée, les langues vivantes donnent l’impression d’être moins malmenées, la LV 2 entre dans le socle commun, la volonté de favoriser les échanges de tous types, entre établissements et entre élèves, va véritablement dans le bon sens de la construction européenne et de la mobilité de ses citoyens. Cependant, au-delà des mots, la perspective de la mise en pratique ne renvoie pas la même analyse, surtout lorsqu’elle est associée à l’inévitable préambule : « à moyens constants ». Les membres de l’Association des Professeurs de Langues Vivantes sont inquiets sur certains points et se posent des questions.
Un problème de terminologie.
Tout d’abord, il nous parait important de revenir sur la terminologie utilisée, notamment sur le qualificatif « étrangères » associé aux langues vivantes. Cette vision des choses ne va pas dans le sens de l’histoire, car dans cette Europe en construction, plurilingue, avec un Président clairement désigné, les langues que l’on y parle ne sont plus véritablement « étrangères ». Et puis cela masque une autre réalité qui renvoie à la présence d’autres langues de France, que l’on qualifie de régionales et qui sont tout sauf « étrangères », sans parler de toutes ces langues issues de l’immigration et qui sont, elles aussi, utilisées au sein même de communautés vivant sur nos divers territoires européens.
L’enseignement par groupes de compétences
La généralisation de ce type de pédagogie réaffirme la référence au Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, si cela va dans le bon sens, nous nous interrogeons sur la mise en pratique et la confusion qu’elle entraîne avec les groupes de niveaux. Nous ne voulons pas d’une approche par les niveaux tels que nous les avons connus par le passé, à savoir, les bons, les moyens et les faibles, et qui au fil des ans restent des bons, des moyens et des faibles. Par ailleurs, tout le monde s’accorde à dire que l’appropriation du CECR est un processus long et certainement complexe et sans une véritable formation des enseignants à ce nouvel outil, nous risquons de connaître les même déboires que lors de l’introduction des mathématiques dites "modernes" dans les années 70/80. Il y a donc nécessité de clarifier le projet.
L’extension des DNL
Il ne suffit pas de dire que "Chaque fois que cela est possible, un enseignement de discipline générale (histoire-géographie, sciences, etc.) est proposé en langue étrangère aux lycéens. " Les SELO (Sections Européennes et de Langues Orientales) existent depuis de nombreuses années sans être régies par des dispositions nationales de création et de moyens horaires.
La spécificité des sections européennes (et donc la DNL) n’apparait ni dans la liste des enseignements d’exploration, ni dans la liste des enseignements optionnels. La petite phrase "conformément aux programmes en vigueur" indique bien que la DNL devient l’enseignement de la matière en LV, sans aucune latitude pédagogique puisqu’il faudra "faire le programme" d’histoire, de mathématiques, de physique...
De plus les enseignants de DNL doivent recevoir une véritable formation avec la certitude d’une bonne maitrise de la langue.
Par ailleurs, il faut indiscutablement que les enseignants de langues eux-mêmes, dans la mesure où ils ont la qualification disciplinaire requise, soient aussi reconnus comme aptes à enseigner une autre discipline, et, lorsque cela est possible, et de façon à assurer un maximum de qualité, il convient de favoriser la mobilité pour des observations de classe dans d’autres pays.
Développer des partenariats entre établissements et entre élèves
Il ne suffit pas de vouloir jumeler des établissements entre eux encore faut-il trouver les établissements volontaires, développer de réels projets, mobiliser des équipes et le tout sans réels moyens. Pour ce qui est des correspondants élèves, nous sommes carrément dans l’utopie car nul ne peut imposer ce genre d’échanges et de plus pour certaines langues le « vivier » d’élèves étrangers n’est pas suffisant et in fine, ce sont les enseignants de langue qui doivent généralement gérer les contacts.
Nous désirons à ce sujet attirer votre attention sur un courrier que nous avions adressé à votre prédécesseur le 12 juin 2009, sur les difficultés rencontrées par les enseignants qui ont dû ces dernières années abandonner des projets de voyages auxquels ils tenaient face aux difficultés administratives croissantes dans l’organisation de séjours à l’étranger.
Utiliser les TICE pour enseigner et apprendre les langues
Multiplier les sources et les dispositifs d’apprentissage est une bonne chose, c’est vrai, mais il est risqué d’imaginer qu’il suffit d’installer des équipements pour faire progresser les élèves, et sur quels budgets investir pour l’achat de matériels ? Comment former les enseignants à l’intégration de ces outils ? Les enseignants de langue sont régulièrement confrontés à l’utilisation de documents vidéo et audio pour lesquels ils ne disposent pas de droits, comment les soustraire à cette contrainte ?
La série L
La volonté affichée de la réforme est de revaloriser les filières autres que S, mais à y regarder de plus près, ce n’est pas vraiment le cas pour la série L. Le poids des langues y est réduit à 4h au lieu de 5 actuellement dans le tronc commun, comment dès lors préparer ces élèves à des études de langues ?
Par ailleurs, parler de réversibilité de l’orientation est un leurre pour la série L car l’absence totale de mathématiques dans le tronc commun rend impossible toute modification des choix.
Enfin, d’autres problèmes restent en suspens :
– l’accent mis sur la globalisation introduit une réelle ambigüité quant aux dédoublements et rien n’est dit sur les effectifs. Or nous réaffirmons qu’un enseignement de langue vivante doit passer par la pratique de l’oral, ce qui, avec des groupes de 35 et plus, en lycée, est irréaliste.
– Le baccalauréat n’est pas abordé, ce qui est fort dommage car l’insistance sur le travail en groupes de compétences a nécessairement une implication sur l’organisation des épreuves de langues, notamment sur la place de l’oral. Tout examen de langue, quelle que soit la série, devrait désormais comporter des épreuves de réception de l’oral et d’expression orale en continue et en interaction. Doit-on vous rappeler que la compréhension de l’oral, qui avait été introduite de façon expérimentale au bac STG en 2007, mesure que les professeurs de langues vivantes avaient approuvée, en a été retirée au bac 2009. Les raisons de ce revirement n’ont jamais été clairement exposées. Pourra-t-on enfin avoir un suivi des expérimentations avec publication des bilans ?
Afin de pouvoir discuter de tout ceci avec vous, nous sollicitons, Monsieur le Ministre, un entretien et nous vous prions d’agréer, l’expression de nos respectueuses salutations.
Président de l’APLV
P.J. courrier envoyé le 12 juin 2009 à M. Xavier Darcos.