Après avoir pris connaissance du rapport du Comité stratégique des langues présidé par Suzy Halimi, Luc Chatel a fait connaitre ses propositions le 7 février 2012.
Si l’APLV retrouve dans le rapport du Comité stratégique des langues un certain nombre de propositions faites et de pistes évoquées depuis longtemps par notre association, et à l’encontre desquelles vont un grand nombre de décisions ministérielles de ces dernières années, elle constate que Luc Chatel n’en a retenu que ce qui est le plus discutable ou lui permet, en période préélectorale et alors que la redéfinition des missions des enseignants sera l’un des sujets de la campagne présidentielle, d’annoncer une mesure de globalisation des horaires de langues et d’annualisation du temps de travail des professeurs dans 10 % des collèges dès la rentrée 2012.
Prise dans la précipitation, sans concertation et sans étude de faisabilité préalables, avec une « installation » à grande échelle aventureuse, on a du mal à croire qu’elle vise à améliorer l’enseignement/apprentissage des langues en France.
Elle ne peut qu’entraîner une réaction de rejet de la part de l’ensemble de la profession.
Le rapport
Nous avions rencontré Susy Halimi en juin dernier. [1] Nous avions apprécié le climat de confiance dans lequel s’était déroulé l’entretien et le désir plusieurs fois exprimé de concertation avec les enseignants.
Une nouvelle rencontre avait même été souhaitée de part et d’autre. Elle n’a pas eu lieu, à notre grand regret. Nous souhaitions en effet poursuivre l’échange sur quelques points, en particulier la formation des enseignants et la modulation des horaires de langues, pour laquelle nous avions émis des réserves, sans nier l’intérêt que représenterait l’expérimentation d’un dispositif permettant un enseignement plus intensif en début d’apprentissage, par exemple lors de la première année.
Dans la première partie du rapport nous avons trouvé objectif l’état des lieux qui pointe les progrès réalisés et les difficultés rencontrées, voire les dysfonctionnements de l’enseignement des langues en France. Dans la deuxième partie, qui visait à définir une stratégie pour l’améliorer, nous pourrions souscrire à la quasi-totalité des recommandations qui sont faites.
Cependant nous ne pouvons nous empêcher de répéter qu’elles correspondent pour la plupart aux revendications des professeurs de langues et à ce qu’ils cherchent souvent à mettre en œuvre depuis des années, en rencontrant des difficultés de tous ordres, que nous avions signalées et qui ont été en partie relevées dans le rapport. En outre, en faisant au ministre l’ « offre ambitieuse » d’ « assouplir le cadre horaire d’apprentissage du collège », c’est-à-dire de « globaliser les horaires des deux langues pour favoriser la mise en place de parcours personnalisés » et de « dégager une plage commune pour monter des projets de classe », le Comité stratégique a manqué singulièrement de sens stratégique : il a offert au ministre l’occasion dont il rêvait sans doute de s’attaquer au statut des professeurs et, ce faisant, a couru le risque de rendre inaudible auprès des enseignants l’ensemble de son rapport.
Ceux qui en attendaient beaucoup ne peuvent que s’en irriter.
Les propositions du ministre
Premier axe : Repenser le rythme des enseignements
Logiquement figure dans cet axe « la sensibilisation aux langues dès l’école maternelle ». Notons d’abord avec satisfaction que le ministre ne parle plus d’ « apprentissage » et que cette sensibilisation concerne LES langues et non plus seulement l’anglais. [2]
Ensuite il s’intéresse à la formation des professeurs des écoles et « souhaite que des professeurs de langue du second degré apportent toute leur expertise à leurs collègues du primaire ». Nous faisons remarquer qu’il a maintenu la suppression de l’épreuve de langue du concours des professeurs des écoles, que les enseignants du second degré volontaires pour enseigner en primaire en ont été chassés et que les emplois des locuteurs natifs ont été supprimés massivement.
Enfin, alors que le rapport proposait d’expérimenter « à niveau académique » la globalisation des horaires des deux langues enseignées, sans donner de précision sur les modalités de l’expérimentation, le ministre souhaite l’installer dès la rentrée 2012 sur les quatre niveaux dans 10 % des collèges en l’accompagnant de l’annualisation des horaires des élèves et, inévitablement, de ceux des professeurs, sans se soucier des contraintes de tous ordres qui peuvent s’y opposer ni, s’agissant d’un dispositif nouveau, d’une évaluation qui, dans le meilleur des cas, ne pourrait se faire que dans quatre ans. Mais a-t-on seulement songé à évaluer le dispositif projeté ?
Deuxième axe : Favoriser la mobilité internationale des élèves et des enseignants
Concernant les élèves, établir un cahier des charges national du séjour linguistique est une excellente chose, mais il faudrait également s’assurer que son financement, largement assuré, nous dit-on, par les collectivités territoriales, permettra à tous, quelle que soit leur situation géographique, d’en bénéficier de façon équitable.
Concernant les futurs enseignants, les « obliger » à effectuer un semestre dans un pays non francophone sans dire comment l’intégrer dans leur cursus de formation ni comment le financer, revient à parler pour ne rien faire.
Troisième axe : Encourager l’immersion linguistique au quotidien et tout au long de la vie
« Luc Chatel lance un appel aux chaines de télévision pour privilégier la diffusion des programmes en langue originale sous-titrée. » Les professeurs de langues qui le souhaitent depuis toujours ne peuvent que l’encourager et lui souhaiter bonne chance.
Mais « immersion linguistique », pour Luc Chatel, signifie immersion dans l’anglais. Il le prouve de nouveau en lançant le site « English by Yourself ». [3] Dénomination amusante si l’on se rappelle que l’un des slogans de la campagne publicitaire de lancement de ce site était : « Marre d’être mal accompagnés ? En février 2012, vous serez correctement accompagnés. »
Nous ne pouvons préjuger de ce que sera ce site quand il se sera développé. Nous pouvons d’ores et déjà dire, après un examen attentif de ses contenus : 1. qu’il n’a rien d’innovant ; les professeurs de langues ne l’ont pas attendu pour utiliser des ressources semblables à celles qu’il propose ; 2. que nous ne voyons pas comment il pourra accompagner les apprenants, les enfants surtout, dans leur apprentissage, à moins de créer massivement des postes d’enseignants qui seraient sûrement mieux utilisés dans le service public d’éducation où ils font défaut.
D’ailleurs, le CNED est-il encore le service public qu’il devrait être ? Son partenariat avec des organismes privés, France-Telecom-Orange et le British Council, permet déjà d’en douter, comme sa campagne très commerciale de lancement de son site, comme la façon dont il recrute ses responsables. [4] Pour rester dans le domaine des langues, alors que ce centre national d’enseignement à distance suppléait autrefois aux insuffisances et aux lacunes de l’enseignement présentiel dans les écoles, la gratuité de ses cours n’est plus accordée aux élèves des collèges et lycées qui veulent étudier une langue non enseignée dans leur établissement, ce qui ne favorise pas la diversité des langues enseignées en France.
Ce projet nous semble être une dérive du service public d’enseignement à distance : le CNED serait un outil formidable s’il était utilisé à bon escient pour compléter un dispositif global et non comme palliatif à des carences d’un système ou instrument d’une propagande dans un dispositif de communication.
Rien d’étonnant quand le ministre, conforté dans ses idées par le Comité stratégique, privilégie, en voulant même le rendre obligatoire, l’apprentissage de l’anglais.
Notons d’abord la contradiction dans laquelle se sont enfermés les membres du Comité, contradiction manifestement dues aux dissensions nées en son sein sur cette question : alors que le rapport propose l’ « anglais obligatoire » dès la 6e, il donne une série d’exemples et de témoignages qui tendent tous à montrer que la diversification de l’enseignement des langues est non seulement un bon pari pour l’avenir, mais une chance pour aujourd’hui. Entre autres témoignages, celui-ci : « Impossible enfin de ne pas citer ici les entreprises, qui disent vendre dans la langue de leurs acheteurs, selon la formule du président Davignon : Les langues font nos affaires. » Nous ne disions pas autre chose dans l’article cité plus haut en note.
Il faut croire que Luc Chatel, qui ne peut ignorer le montant de notre déficit commercial, n’a pas lu le rapport [5] pour affirmer : « Ma conviction profonde est que la maîtrise des langues, et surtout de l’anglais, est un enjeu majeur pour la compétitivité de la France. » [souligné par nous]
Pour conclure, nous craignons fort que le Comité stratégique des langues n’ait échoué dans son « ambition d’ouvrir la voie à une nouvelle approche ». Il n’y a pas lieu de s’en réjouir.
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