Compte rendu de la journée d’étude commune APLV-SNES du 25 novembre

Compte rendu rédigé par Jean-Luc Breton, Pascal Lenoir et Jeanny Prat
lundi 4 décembre 2023

Le SNES et l’APLV ont organisé ensemble le samedi 25 novembre 2023 une journée d’étude sur l’enseignement des langues au collège, intitulée : « Quel enseignement des langues au collège aujourd’hui et demain ? ». Trois tables rondes ont examiné diverses problématiques qui traversent aujourd’hui les cycles d’enseignement du collège.

La première table ronde, intitulée « Les aspects institutionnels et les risques d’une réforme du collège portée par le ministère » était prise en charge par Gwenaël Le Paih et Marc Rollin, respectivement secrétaire national adjoint et responsable du secteur Langues Vivantes au SNES.

Marc Rollin, enseignant d’espagnol en collège, a posé en premier lieu quelques éléments de contexte. Il a notamment évoqué la stratégie de Lisbonne (de 2000), qui a introduit les bases d’une économie de la connaissance, reliée aux mobilités fortement encouragées pour les travailleurs. Plus tard, les objectifs de Barcelone (2002) concernant les langues vivantes ont porté sur les mobilités des étudiants et des formateurs. Ces protocoles visaient à promouvoir une proportion croissante de citoyens capables de « communiquer efficacement » (sic). Marc Rollin a rappelé également les travaux du Conseil de l’Europe, et notamment le CECRL (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, 2002) ainsi que son volume complémentaire (2018). Ces documents sont à considérer comme un outil idéologique : ils portent une vision de la citoyenneté européenne ; certes, on y esquisse une configuration didactique appelée « perspective actionnelle », mais celle-ci a donné lieu à plusieurs interprétations.

Marc Rollin a ensuite procédé à un état des lieux. La diversification de l’offre en langues, au-delà des propos ministériels, toujours autosatisfaits, est en réalité bien mise à mal : l’anglais domine en LV1, l’espagnol en LV2. On ne compte que 15 % d’élèves en classes bilangues ; l’allemand LV1 est en baisse ; 78 % des élèves suivent une LV2, dont 68 % choisissent l’espagnol ; 3,6 % seulement des élèves ont une LV3. Les langues régionales sont aux prises avec d’énormes difficultés, on peut en dire autant des sections européennes, devenues LCE.

S’agissant des professeurs, ils sont aux prises avec une triple prescription, celles du Socle Commun de Connaissances et de Compétences, du CECRL et son volume complémentaire, et des programmes par cycle. La confusion est très grande. Les enseignants croulent sous le poids des préconisations et ressentent une pression évaluative très forte, qui s’exerce sur la fin de chaque cycle puisque les programmes sont non-contraignants. Se pose la question d’une culture commune chez les professeurs pour que les repères annuels fassent sens. Face à cela, le MEN a réagi pour les quatre langues vivantes majoritaires, et a publié en mai 2023 de nouveaux repères, en ajoutant encore des descripteurs à tous ceux qui circulaient déjà, ce qui n’a fait que renforcer le malaise des collègues de collège.

On peut noter une évolution de la terminologie ; de nouveaux attendus apparaissent : par exemple « ce que sait faire l’élève » ; il s’agit de compétences pratiques, pas seulement de connaissances ; pourquoi pas, mais on ne trouve rien sur le contexte de repérage desdites compétences. Par ailleurs, le MEN met le focus sur les « stratégies », sans proposer de modalités d’évaluation pour elles. Pour tout « exemple de réussite », les documents se contentent de proposer des phrases-type, ce qui est extrêmement limitatif. Depuis plusieurs années, le focus portait quasi exclusivement sur l’expression orale ; l’attention est désormais portée également aux supports écrits (notamment sur le net), ce qui va plutôt dans le bon sens ; le discours officiel porte moins sur la mémorisation, et retient davantage la notion de compétences réelles ; pour autant, les questions posées par la mise en pratique sont évacuées. La médiation interculturelle pose également de nombreux problèmes aux enseignants : que faut-il entendre par interculturalité ? Le MEN ne propose pas de réponse satisfaisante ni de formation en rapport avec ce concept. Tout au plus évoque-t-il la traduction, ce qui est loin de couvrir l’étendue du sujet. Le CECRL a tout de même vingt ans, et même si son influence n’est pas négligeable, il n’a pas pour autant signé la fin l’histoire de la didactique des langues. En guise d’actualisation, on voit se multiplier les catalogues de descripteurs, un mille-feuille qui est loin de contribuer à quelque clarification que ce soit.

Du côté de l’évaluation, les choses ne vont guère mieux. Les injonctions contradictoires sont devenues en quelque sorte la norme. Par exemple, le Code de l’Éducation n’est pas en rapport avec le Socle sur les attendus de fin de cycle (A2 et B1). Le MEN insiste sur quatre temps pour l’évaluation : l’évaluation au quotidien, les bilans périodiques, de fin de cycle, et le DNB.

La circulaire « Performance » du 15 décembre 2022 cherche à imposer que d’ici 2025 soit atteint l’objectif de maîtrise à 80 % des niveaux attendus en anglais en fin de collège. On se souvient qu’on y présente l’« anglais ET les autres langues » … Marc Rollin a évoqué le dispositif Ev@lang, véritable machine à produire des tests, en compréhension orale, compréhension écrite, vocabulaire, grammaire et conjugaison. Seul détail, que les syndicats et les associations de spécialistes n’ont pas manqué de signaler, les pratiques pédagogiques de terrain n’ont rien à voir avec ce type de test, elles n’y préparent pas ! On ne s’étonnera donc pas des résultats obtenus. Le ministère n’envisage que des évaluations standardisées. Et à nouveau, il produit des grilles !

Marc Rollin a conclu son propos sur quelques questions ouvertes : par exemple, jusqu’où peut-on harmoniser les programmes avec la diversité des pratiques de terrain ? À cet égard, il faut convenir que le MEN n’est pas neutre du tout sur la didactique des langues. Il existe d’autres pistes pour l’enseignement des langues, mais pour l’heure elles sont invisibilisées. Quant au ministre Attal, ses derniers propos sont lourds de menaces : la question de la labellisation des manuels est posée, dit-il. Il ajoute : faut-il conserver le principe des classes hétérogènes ?

Le second intervenant, Gwenaël Le Paih, secrétaire national adjoint du SNES, est professeur de mathématiques. Il a longtemps enseigné en collège. Son champ de responsabilité au syndicat concerne l’organisation des enseignements, la place des concours. Il coordonne les interventions du SNES au CSE.

D’entrée de jeu, Gwenaël Le Paih fait état d’une offensive très forte sur le collège de la part du MEN. À titre d’exemple, la suppression de la technologie a pris par surprise les acteurs du domaine. Il s’agissait de financer les cours de soutien et d’approfondissement ; l’attaque a été très brutale. Le ministre Attal est manifestement sur une ligne très libérale. La montée des inégalités au collège est dans son logiciel. C’est dans cet état d’esprit qu’il a levé les contraintes qui pouvaient peser antérieurement sur le privé catholique. Chacun sait bien que l’Indice de Position Sociale (IPS) favorise beaucoup le privé catholique, qui cultive l’entre-soi, mais du côté du gouvernement et du MEN, un des gros marqueurs consiste justement à figer les inégalités à l’école. C’est ainsi que les « savoirs fondamentaux », déjà à l’oeuvre au primaire, viennent irriguer le secondaire. Pour Mathieu Lahaye, sous-directeur des savoirs fondamentaux et des programmes scolaires au ministère, « on ne peut pas mettre la charrue avant le boeufs », les savoirs fondamentaux doivent être acquis avant qu’un élève puisse envisager la suite de son parcours. Le SNES est totalement opposé à cette conception curriculaire, c’est au contraire la diversification des options qui doit irriguer l’ensemble ; tous les élèves doivent être confrontés à des savoirs ambitieux et à des situations d’apprentissage complexes. Avec la nouvelle organisation de la sixième et les heures de soutien et d’approfondissement, on organise une « différenciation structurelle ». On s’oriente vers la division des élèves en classes de niveau, en vue d’un collège modulaire. La sélection y serait la norme. Et ce d’autant plus qu’il n’y a pas de moyens supplémentaires pour les groupes de niveau. Les seuls moyens sont ceux du « pacte ». Quant aux groupes, ils sont constitués sur la base d’évaluations totalement standardisées. L’effet est que certains élèves sont déjà résignés quant à leur avenir scolaire.

Avec la Mission « Exigence des savoirs », le ministre Attal livre sa vision du Cycle 4. Il y a ces temps-ci tout un discours ministériel sur la culture générale, sur ce que les jeunes doivent savoir… Il semblerait que le ministère soit en train d’imaginer une certification sur la culture générale. D’une façon générale, les certifications viennent se substituer aux évaluations des professeurs. Elles viennent aussi se télescoper avec les programmes, ce qui a pour effet que de nombreux collègues se sentent perdus. On sait que le ministre Attal veut faire des annonces sur le retour du redoublement ; il parle aussi de groupes de besoin éphémères …

Le ministère travaille aussi à une redéfinition des métiers ; il a ouvert un chantier sur l’attractivité des métiers, dont on sait déjà qu’elle est très problématique ; il est notamment question de la place des concours. Le scénario retenu consisterait à les placer en L3 pour le premier et le second degrés. Les stagiaires seraient rémunérés pendant les deux ans, les stages de la première année seraient d’observation, en seconde année les étudiants seraient stagiaires en fonction. Cela irait plutôt dans le bon sens, mais les deux années en question ne sont pas identifiées comme Master. Les INSPE n’apparaissent plus du tout dans ce nouveau cadre de la formation. Il est clair que la formation serait entièrement aux mains de l’employeur, et que la part prise par l’université serait très atténuée.

Répondant aux questions de la salle, Marc Rollin a indiqué qu’on assiste au retour à une logique de performance ; le discours sur les « stratégies » est seulement un affichage ; s’agissant des langues vivantes, le focus est mis sur l’anglais lingua franca. De telles orientations suscitent de fortes questions d’éthique professionnelle. Lire – écrire – compter – se comporter : tout le monde comprend bien qu’une telle logique est loin d’être neutre quant à la société que l’on entend construire à travers l’école. C’est bien à une logique de « re – civilisation » par l’école que l’on assiste. La « société de la connaissance » n’est en réalité réservée qu’à un petit nombre. Quid de la complexité des situations d’enseignement / apprentissage, quid de l’expertise professionnelle des enseignants, concepteurs de leurs démarches ? C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’offensive très forte sur la formation continue. Toutefois, à l’encontre de ce tableau un peu sombre, il convient d’opposer l’impact très important que représentent l’unité syndicale (notamment depuis la lutte contre l’offensive sur les retraites) et le travail collaboratif avec toutes les associations de spécialistes. Il faut se convaincre qu’il y a là un point d’appui tout à fait important pour mieux faire entendre la voix du métier.

La seconde table-ronde, modérée par Jeanny Prat (APLV), avait pour intitulé « Stratégies actionnelles et acquisition des savoirs ». Elle a réuni trois intervenants.

Pierre Escudé, enseignant-chercheur en occitan et en didactique du plurilinguisme à l’Université de Bordeaux, a mis en évidence les problématiques préoccupantes que pose la vision ministérielle de l’éducation langagière.

À cet égard, le discours du ministre Attal du 5 octobre dernier est très révélateur. Le savait-il, il a repris quasiment terme à terme les attendus de la circulaire du 25 août … 1927 ! Comme son prédécesseur de l’époque, Anatole de Monzie, le ministre se plait à rappeler le rôle de Napoléon et celui de l’édit de Villers-Cotterêts dans la centralisation autour du français langue de France, ce qui a signifié un désir d’élimination des langues locales. L’idéologie monolingue prédominante a pour effet la mutilation de la compétence langagière. Ce qui y prédomine, c’est le français grammatical, dans le cadre du trop fameux lire-écrire-compter. Et pourtant, le plurilinguisme est au coeur des pratiques langagières.

Il faut pourtant se convaincre que l’accès aux contenus disciplinaires passe par la langue. Il n’y a pas de contenu disciplinaire sans contenu de langue. Pierre Escudé cite Claire Blanche-Benvéniste et ses travaux sur les élèves allophones : elle indique que si l’école est mal adaptée à eux, c’est qu’en réalité elle est mal construite pour tous. Une formation professionnelle des enseignants digne de ce nom devrait inclure les gestes professionnels spécifiques au multilinguisme. Il faudrait bien qu’un jour la complexité soit au coeur des pratiques de classe, que la problématique de l’immersion ne soit pas un tabou, et que l’enseignement de langue s’organise autour du problem raising et du problem solving.

Heather Hilton, de l’Université Lyon 2, a centré son propos sur l’apprentissage du lexique. Pour cette spécialiste en didactique de l’acquisition et en sciences cognitives, le mot « cerveau » n’est pas un gros mot.

Consciente des nombreuses polémiques qui ont agité la didactique des langues, Heather Hilton préconise une didactique hétérogène. Par exemple, la prédominance du terme de « tâche » dans les préconisations actuelles lui paraît relever du dogme. Il n’y a pas que le task based learning : tout est bon à prendre dans l’histoire que la didactique nous a léguée. Il est bon que l’enseignant ait en main toute une palette d’activités, au sein de laquelle le manuel doit avoir toute sa place. Heather Hilton indique que, pour elle, les skill based approaches ont leurs limites, puisque les élèves ont déjà acquis des compétences langagières avant de commencer l’apprentissage d’une ou plusieurs langues étrangères au collège. Ce qu’ils ont besoin d’apprendre, c’est des repères dans la culture dans laquelle ces langues sont utilisées. Le lexique fait partie de cette approche culturelle. Les mots sont autant d’unités de sens, ils encodent les idées. Dans le discours institutionnel, l’expression est trop souvent mise avant la compréhension. En réalité, plus l’élève a de mots, plus il a de possibilités de formuler les concepts qu’il entend exprimer. En lexique, tous les élèves peuvent réussir.

Elisabeth Lansel (germaniste, membre du réseau Canopé d’Arras) a fourni des éléments de réflexion autour de la conception d’un manuel actionnel pour le collège.

Co-autrice de manuels scolaires pour l’enseignement de l’allemand., Elisabeth Lansel insiste sur le fait que la conception en équipe d’un tel outil est une démarche complexe. Les collectifs d’auteurs sont le fruit de cooptations compliquées. L’investissement des auteurs est très important, les utilisateurs n’en sont pas toujours conscients. Au moment de concilier l’approche actionnelle que souhaite privilégier l’équipe, les contenus qu’il ne faut pas manquer d’introduire, les contraintes éditoriales qui sont très fortes, celles de l’institution, l’équation est délicate à poser. Surtout si un membre des corps d’inspection est dans l’équipe d’auteurs. Pour Elisabeth Lansel, le manuel doit être un outil pour les enseignants, mais il ne doit pas être prédictif, il faut qu’il soit suffisamment flexible. De l’actionnel, sans doute, mais aussi de l’attention à beaucoup d’autres choses ; flexibilité et complexité doivent imprégner l’ensemble. Nous sommes dans un contexte qui voit arriver dans les établissements de nombreux professeurs contractuels, qui se sentent parachutés. Pour eux, les manuels sont à n’en pas douter des outils d’accompagnement pour faciliter la prise en main didactique et pédagogique.

Répondant aux réactions de la salle, les intervenants ont notamment déploré le « manuel bashing » qui sévit trop fréquemment. Pierre Escudé a évoqué le dictionnaire de pédagogie de 1882. S’y trouvait une notice sur les langues, qui a été supprimée. On y préconisait déjà d’apprendre ensemble l’italien, l’occitan et le français. Les intervenants ont rappelé que la recherche a mis en évidence toute l’efficacité des démarches d’éveil aux langues. Mais ces dispositifs se heurtent à des impensés ministériels, imprégnés de croyances et aux prises avec de nombreux dogmes.

La troisième table ronde était intitulée « Dispositifs innovants et apprentissages informels au collège ». Elle réunissait, autour de sa modératrice Françoise Du (APLV), quatre intervenants, Pascale Abdelkhirane, professeure d’anglais au Lycée Lyautey de Casablanca, Paola Rivieccio, professeure d’italien LCO à Bienne en Suisse, César Ruiz Pisano, enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Olivier Tétart, responsable du secteur « séjours linguistiques » au sein de l’UNOSEL.

César Ruiz Pisano, auteur d’une thèse sur « théorie et pratiques de la compréhension audiovisuelle dans la didactique de l’espagnol langue étrangère », s’est interrogé sur comment arriver à ce que des élèves mettent en scène des textes littéraires.

Pour lui, l’important, pour que l’élève devienne véritablement acteur (du verbe « agir ») de son acquisition langagière, c’est de le rendre littéralement acteur (dans le sens d’interprète d’un rôle), c’est-à-dire de l’aider à passer de la compréhension à la production. La mise en voix d’un texte littéraire aide l’élève à accéder à une compréhension plus fine, puisque comprendre un texte littéraire, ce n’est pas uniquement comprendre des mots et une histoire, mais aussi l’implicite des sentiments, des représentations de l’auteur, sa position politique, etc. Le CECRL insiste d’ailleurs sur l’« utilisation ludique de la langue », sur « redonner le plaisir de lire » et cela n’est possible qu’à condition d’intégrer la littérature dans les programmes.

C’est ce que les derniers programmes pour le cycle 4 invitent les enseignants à faire, avec l’insistance sur la « mise en discours », sur le dialogue entre les langages artistiques, sur l’approche multi-sensorielle des supports. Si la littérature est traitée comme un support à part, alors il y a le risque qu’une utilisation utilitariste de la langue s’installe, même si l’on enseigne la langue comme culture. César Ruiz Pisano est conscient que les préjugés de certains enseignants, qui pensent qu’il faut enseigner la culture comme objet d’étude et non comme expérience, risquent de faire obstacle.

Au collège, il ne s’agit pas de faire des élèves de futurs linguistes, mais de les faire accéder à la littérature, en passant par des supports variés. L’intérêt de la multiplication des supports d’accès à une connaissance langagière et culturelle, c’est que la comparaison est déjà un début d’explicitation.

En fait, César Ruiz Pisano plaide contre « l’extraction » de la littérature du cours de langue. Il convient, pour faciliter l’intégration des savoirs et des compétences, de s’appuyer sur ce que Maria-Alice Médioni nomme une « approche sensorielle », de donner de l’importance à l’expérience esthétique, afin d’activer une attitude réflexive, grâce à la comparaison et à l’argumentation. Et ainsi, de contribuer à construire l’esprit critique des élèves.

Pascale Abdelkhirane ne dit pas autre chose. Le travail qu’elle présente est un projet d’écriture et de publication de textes d’élèves. Dans son projet, l’écriture de fiction est une séquence pédagogique comme les autres. D’abord, il s’agit de faire analyser les genres et les stratégies discursifs, puis de définir avec les élèves un cahier des charges en vue de la production d’une nouvelle. La tâche finale de la séquence est d’écrire et de publier, donc il s’agit de prendre conscience d’étapes à franchir, dans le but de s’approprier l’écriture du récit et sa réécriture.

Un tel projet permet aux élèves de contrôler leurs productions, mais inclut aussi dans l’activité d’expression « le rêve, la poésie, l’imaginaire ».

Dans un projet de ce type, le rôle du professeur est de « canaliser ». Pascale Abdelkhirane plaide pour des groupes d’affinité, car la constitution par le professeur de groupes hétérogènes lui paraît conduire les élèves les moins à l’aise à se mettre en retrait et laisser leurs camarades plus à l’aise remplir le rôle de leaders du groupe. Si des élèves plus faibles se réunissent au sein d’un groupe, c’est l’occasion pour le professeur de les guider plus particulièrement et de les aider à arriver à une production, moins spectaculaire et aboutie peut-être, mais réelle.

Ce travail d’écriture aboutissant à la création d’un « vrai livre », parfois avec un ISBN même, a une valeur actionnelle exceptionnelle : on est dans une vraie problématique, avec un vrai produit fini qui est la réponse apportée par le groupe. La fierté des élèves de pouvoir ramener chez eux leur propre exemplaire de « leur » livre a une valeur motivationnelle rare.

Pascale Abdelkhirane rappelle aussi qu’un travail d’écriture de nouvelles peut se faire en collaboration avec des professeurs d’autres disciplines, comme les arts plastiques (écrire à partir de tableaux) ou d’autres langues (contes anglais-arabes dans le contexte d’un collège de l’AEFE au Maroc, où la langue arabe, LV1 obligatoire pour les élèves marocains, est perçue comme une discipline sans grand intérêt).

Paola Rivieccio traite des échanges scolaires institutionnels comme Erasmus+ et le e-twinning. Les enjeux de ces échanges sont multiples, langagiers évidemment, mais aussi interculturels, digitaux et humains. De plus, ils ont l’avantage de mobiliser tout un établissement dans le cadre d’un projet.

Paola Rivieccio insiste sur la nature non-scolaire de ces activités organisées dans le cadre de l’école. Par exemple, le succès de l’e-twinning tient à ce que les participants sont fédérés autour d’une activité mais sans cours, sans devoirs, voire sans supports de cours. Ce qui prédomine, ce sont les relations interculturelles, c’est-à-dire de nouveaux rapports à l’autre et au pouvoir du maître. Dans ce contexte, il convient de noter que, dans ces échanges, l’anglais prend souvent la fonction de « langue franche », et que, par conséquent, c’est dans le domaine de la compétence plurilingue, « utiliser un peu toutes les langues qu’[on] sa[it] », qu’on perçoit des acquisitions et un surcroit de motivation. Ce type d’échanges favorise les compétences stratégiques plus que les acquisitions langagières stricto sensu.

Comme dans les dispositifs décrits par Pascale Abdelkhirane et César Ruiz Pisano, l’enseignant est un médiateur, un facilitateur de la mise en contact. L’un des objectifs des échanges scolaires institutionnels est d’ailleurs de mettre en évidence de bonnes pratiques enseignantes et de les transférer.

L’enjeu, pour Paola Rivieccio, est de mettre en synergie le projet institutionnel et les projets individuels des élèves.

Olivier Tétart, en sa qualité de responsable de la commission « séjours linguistiques » au sein de l’UNOSEL, n’est pas porteur d’un discours didactique. Les éclairages qu’il a apportés à la réflexion collective sont cependant dans la continuité des propos de la journée d’étude.

Même si les organismes de séjours linguistiques revendiquent leur rôle dans l’acquisition de compétences linguistiques par les jeunes qui participent à leurs activités, il ressort des études sur la motivation des parents pour ce type de séjours qu’il s’agit avant tout pour eux de donner le goût des langues et des voyages à leurs enfants. D’autres bénéfices sont tirés : développement du sentiment de citoyenneté, prise en compte de l’altérité, compétence plurilingue (comme la définissait Paola Rivieccio), développement de l’autonomie. Tous ces éléments ont un impact sur le développement personnel des participants et, par ricochet, sur leur motivation en classe. Olivier Tétart parle du bienfait des séjours linguistiques des élèves sur la relation d’enseignement, puisque les professeurs peuvent s’appuyer sur les expériences de leurs élèves pour enseigner autrement.

Certains des prestataires fédérés au sein de l’UNOSEL organisent aussi des voyages scolaires. Olivier Tétart rappelle que la préparation d’un voyage scolaire peut être un vrai projet de classe et que les élèves peuvent être impliqués dans la conception de leur voyage.

L’UNOSEL demande la systématisation des voyages scolaires, comme dans d’autres pays, l’élargissement du spectre de la mobilité et la reconnaissance du séjour linguistique dans le cursus des élèves. La fédération demande aussi l’ouverture de l’école aux acteurs de la mobilité.

Les échanges avec la salle se sont focalisés sur la notion de « langue franche » et sur le bénéfice linguistique des séjours à l’étranger. Dans un contexte naturel d’interlocution, on utilise tous les outils qu’on a à sa disposition, y compris l’alternance codique et les échanges non normés. L’important est de ne pas interrompre l’échange communicatif, et c’est aussi comme cela que les élèves fonctionnent dans de vraies (ou presque) situations d’interlocution en classe. C’est pour cela que les séjours linguistiques ne garantissent pas nécessairement les progrès des participants. Tout va dépendre de leur attitude et de leur aptitude à décoder ce qu’ils vivent sur le terrain.