Colloque organisé par Dorothée Cailleux, maître de conférences, Sergueï Sakhno, maître de conférences, Jean-Robert Raviot, professeur ; Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense, membres du Centre de Recherche Pluridisciplinaire Multilingue (CRPM) jeudi 20 novembre et vendredi 21 novembre 2014
Matin : Multilinguisme et institutions européennes
Introduction : Plurilinguisme, multilinguisme, deux notions équivalentes ?, par Sergueï Sakhno, co-organisateur du colloque, maître de conférences Paris Ouest Nanterre-La Défense
Ce n’est qu’en français et en espagnol que ces deux mots désignent deux choses différentes. On a Mehrsprachigkeit/Vielsprachigkeit en allemand, multilingualism en anglais, multilingualismo en italien. Par plurilinguisme on comprend généralement une situation où les individus possèdent et utilisent plusieurs langues, multilinguisme s’utilise pour une communauté où un territoire où plusieurs langues coexistent, mais où les individus n’en possèdent qu’une seule. Anecdote : le mot multilingue se trouve dès le XVIe siècle. Il désigne alors un individu hâbleur, trompeur. D’où peut-être encore aujourd’hui certains préjugés.
La terminologie, une approche communicative et académique, par Rodolfo Maslias, chef de l’unité de Terminologie du Parlement européen :
Comme les 28 pays de l’UE comptent 24 langues les besoins de traduction sont assez élevés. Mathématiquement il y a 552 combinaisons possibles. Dans la pratique on se sert de « langues pivots » : l’anglais, le français, l’allemand. L’unité de terminologie du Parlement européen a comme tâche principale l’élaboration d’une terminologie authentique et fiable concernant les besoins des députés. Elle a construit IATE (InterActive Terminology for Europe), une base de données de plus de 8 millions de termes actuellement. IATE est en partie accessible au grand public. L’unité travaille aussi sur les problèmes de la traduction assistée par ordinateur. La question d’un auditeur évoque le problème des terminologies prescriptive et descriptive. Les institutions font des efforts énormes pour se faire comprendre par les gens. Il y a aussi le problème des langues qui sont parlées dans plus d’un pays, comme par exemple l’allemand. La même langue reflète des réalités diverses.
La pratique du plurilinguisme à l’Agence Spatiale Européenne, par Laurence Nye, doctorante, université Paris-Ouest Nanterre-La Défense :
Pour une institution technique comme l’ESA trop de langues génèrent trop d’incompréhension. Tous les agents possèdent trois langues en dehors de la leur et au moins l’anglais et le français. On doit maîtriser les problèmes de terminologie, harmoniser les termes difficiles ; les documents les plus importants sont traduits en 10 langues (celles des 10 pays membres de l’agence), mais il faut réduire les coûts. Des pratiques informelles concernent la coexistence des cultures. L’anglais est la lingua franca, un jargon spécifique s’est également développé. À la question d’un auditeur concernant l’évolution ces dernières 20 années la réponse et claire : l’anglais domine de plus en plus, d’autant plus qu’il y a une prédominance américaine dans la matière.
La politique européenne de promotion du plurilinguisme face à l’évolution des langues slaves en Europe centrale et orientale, par Pascal Bonnard, CERI – Institut d’études politiques de Paris et Wojciech Sosnowski, Institute of Slavic Studies – Polish Academy of Sciences (ISS – PAS)
Pascal Bonnard (qui travaille actuellement à l’Université Humboldt de Berlin) rappelle les difficultés, après l’élargissement de l’UE à 28 États, de maintenir le système mis en place en 1958 – à savoir que toutes les langues sont égales. Dorénavant de nouvelles pratiques apparaissent, pratiques que l’intervenant est en train d’étudier dans le domaine des textes de lois. Actuellement, environ 75 % de ces textes sont rédigés en anglais, d’autres dans les langues pivots (français, allemand). D’autre part l’UE n’a pas de compétence dans le domaine de l’enseignement des langues, elle ne peut s’occuper que de questions économiques, et en particulier de mobilité des travailleurs. L’intervenant confirme la pratique que Christian Tremblay de l’OEP, lors d’une prise de parole, qualifie d’absurde, à savoir que même les fonctionnaires non-anglophones rédigent leurs textes en anglais, lesquels textes sont ensuite corrigés par un service de traducteurs pour être traduits ensuite, entre autres, dans la langue de l’auteur.
Wojciech Sosnowski fait sa communication sur l’évolution des langues slaves en russe. Un détail a retenu mon attention : depuis la chute du mur, les langues slaves ont évolué « vers plus de démocratie dans la langue ». À ma demande d’expliquer ce qu’il comprend par là, l’intervenant évoque entre autre la plus grande liberté concernant l’utilisation des registres de langage et cite la fameuse intervention de Poutine concernant le peuple tchétchène : « On va les buter jusque dans les chiottes. » (En russe, paraît-il, cela fait un brin moins vulgaire.)
Après-midi : Plurilinguisme et pédagogie, pédagogie du plurilinguisme
Mehrsprachigkeit im Alltag von Schule und Unterricht in Deutschland, par Yüksel Ekinci, FH Bielefeld ; Habib Güneşli, TU Dortmund.
Ces deux universitaires allemands d’origine turque exposent les résultats provisoires d’une enquête concernant le plurilinguisme dans les classes allemandes. Pour l’instant ils se basent sur 200 réponses, mais l’enquête continue jusqu’en janvier. Le nombre de langues est énorme (les enquêteurs n’avaient même pas prévu dans leur questionnaire toutes les langues que les professeurs rencontrent dans leurs classes). Les questions portent surtout sur les pratiques langagières des élèves dans leurs familles, avec les amis et en classe. La plupart des enfants multilingues parlent avec leurs parents la langue de ceux-ci, mais avec les frères et sœurs une sorte de mélange ou de va-et-vient (switching) de la langue maternelle et l’allemand (L1 et L2). Dans les communications avec leurs pairs (peer groups) la L2 prédomine. Les principales difficultés que connaissent ces élèves en classe sont l’expression écrite et la lecture. Un autre volet de l’enquête était consacré à la manière dont les enseignants maîtrisent le problème. Certains arrivent à intégrer certaines L1 (en particulier le turc, la plus fréquente, mais aussi, curieusement, le français – pas l’anglais !) dans leur enseignement, mais 60 % d’enseignants estiment qu’ils sont insuffisamment formés et ils demandent que les manuels prennent mieux en compte la situation. L’enquête évoque aussi le problème de deux types de soutien en langue : « additif » et « intégratif ».
L’utilisation de la carte heuristique dans la classe : la création d’un espace tiers, étude socio-linguistique menée dans une classe du Blanc-Mesnil, par Noemie Ramila Diaz, doctorante, université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.
La communication porte sur un projet de l’association F93 qui a pour objectif d’utiliser les cartes heuristiques dans des classes de 4e de collèges du département de Seine Saint-Denis. Ces cartes heuristiques permettent aux élèves de réaliser une évocation très personnelle de leur environnement et de leur cadre de vie. Il se révèle que dans beaucoup de ces réalisations le plurilinguisme joue un grand rôle. Les élèves tentent de montrer ce que les différentes langues qu’ils possèdent signifient pour eux. Les langues sont plus souvent reliées à des personnes qu’à des pays. La carte heuristique dans ce contexte est un outil d’analyse, mais en même temps un moyen d’ empowerment pour les enfants.
Nationale Sprach- und Kulturinstitute als zeitgemäße und zukunftsweisende Antriebskräfte für den Schutz, den Erhalt und die Verbreitung von Sprachen und Kulturen nationaler Minderheiten. Strategische Überlegungen und Handlungsempfehlungen, ausgehend von der Situation in Spanien und Frankreich, par Christian Läpple, Katholische Universität Eichstätt-Ingolstadt, Fachgebiet Romanistik.
Cette communication en allemand, qui s’appuie sur la thèse de doctorat de l’intervenant, porte sur le travail des instituts culturels dans le domaine de la protection, la conservation et la promotion de langues et cultures de minorités nationales en Europe. En réaction à une uniformisation linguistique qu’entraîne avec elle la globalisation (mondialisation) certains instituts représentant des langues régionales ou minoritaires en Europe tentent de faire connaître au grand public ces langues (qui sont parlées par environ 50 millions de personnes en Europe). Les devises sont « La diversité c’est la vie » et « Le recul des langues est une sévère perte ». L’UNESCO présente dans un atlas les langues qui se trouvent aujourd’hui en danger d’extinction. L’institut InOcfait un travail de promotion de l’occitan en France et ce dans plusieurs domaines. Il existe par exemple un service de réponses aux questions du public, un service de traduction, un groupe qui propose des néologismes, un groupe qui élabore un nouveau dictionnaire etc. L’institut a aussi constitué une bibliothèque et des archives numériques de documents en langue occitane (chansons, textes). Le travail de cet institut reste toutefois confiné au territoire de la région Aquitaine, contrairement à l’institut de promotion de la langue catalane IRL (Institut Ramon Llull) qui possède des antennes à travers le monde. En effet cette langue est langue officielle de la Catalogne (et activement parlée par 14 millions de locuteurs) ; le travail de cet institut est donc complètement différent.
Internationalisation et européanisation des recherches et des études, par Géraldine Demme, Stéphanie Dijoux, Kerstin Peglow, Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.
Ces trois universitaires françaises d’origine allemande sont responsables du cursus de droit franco-allemand à l’Université de Nanterre. Le caractère universel du droit rend nécessaire la réflexion linguistique au-delà des frontières. Les langues sont importantes dans la réception du droit. Au Kosovo par exemple on a pu observer que le système juridique adopté dépendait étroitement de l’origine linguistique des intervenants européens.
Dans l’Europe d’aujourd’hui il est important d’internationaliser, d’européaniser. Les juristes sont sensibles aux questions éthiques et sociales. Il faut motiver les étudiants pour étudier le droit comparé et les langues. Contrairement aux autres sciences il n’existe pas de langage juridique universel. Chaque système de droit possède sa propre terminologie, ce qui crée souvent des problèmes.
Le curriculum comprend des échanges internationaux d’étudiants, mais aussi d’enseignants, et pas seulement avec les pays européens.