CR DU SÉMINAIRE SUR L’ORAL, 20/11/21
L’APLV a pu cette année organiser en co-modalité à l’INSPE de Lyon Croix Rousse son séminaire annuel sur les questions vives touchant à l’enseignement / apprentissage des LVER. Le thème retenu cette année portait sur l’oral et ses enjeux en enseignement / apprentissage des LVER, thème déjà envisagé l’an passé mais annulé à cause de la situation sanitaire qui prévalait en novembre 2020.
Deux interventions ont été présentées sur « Langue orale et apprentissage des LVER ». La modération de la séance était assurée par Régine DAUTRY, secrétaire générale adjointe de l’APLV.
Ruth ALIMI, IA-IPR d’anglais dans l’académie de Paris, autrice d’ouvrages de préparation au CAPES d’anglais, ainsi que de cahiers d’activités en direction de divers publics scolaires, a proposé une réflexion sur les stratégies à envisager pour une préparation efficace de l’oral sur le chemin du Baccalauréat, qui contient désormais une épreuve orale appelée « Grand Oral », dont une première édition s’est tenue lors du Bac 2021.
Laura ABOU HAIDAR, Professeure des Universités, enseignante – chercheuse à l’université Grenoble – Alpes, didacticienne du FLE et spécialiste de l’oral, autrice de nombreuses publications et coordonnatrice de deux numéros sur ce sujet dans Les Langues Modernes (3-2020 et 2-2021), a centré son exposé sur « Quelle(s) norme(s) pédagogiques assigner à l’oral ? ».
En introduction à son propos, Ruth ALIMI s’est placée à l’interface entre enjeux scolaires et sociétaux quant à la prise de risque à l’oral. Elle a rappelé les modèles antérieurs des attentes scolaires et sociales en matière d’oralité, évoquant notamment le modèle III° République de la récitation de contenus mémorisés, ou encore le schéma de classe bien connu de « dialogue pédagogique », dialogue si l’on peut dire, puisque dans ce cas il s’agit essentiellement pour l’enseignant de questionner oralement la classe afin d’obtenir les réponses qu’il attend, selon une temporalité magistro–centrée à laquelle l’élève doit se soumettre. Elle est revenue sur le tournant des années 1970 qui a vu l’émergence des méthodes communicativistes avec leurs enjeux autour de l’organisation discursive des énoncés et des stratégies d’apprentissage des apprenants d’une LVER. Ces conceptions avaient émergé à la suite de nombreuses publications en linguistique, en philosophie du langage, en psychologie sociale. Ces recherches avaient inspiré plusieurs travaux du Conseil de l’Europe, en particulier les Niveaux-Seuils et l’approche notionnelle-fonctionnelle (notions et actes de parole), puis plus tard, le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) et ses propositions de descripteurs de la compétence à communiquer dans ses différentes composantes. Ces approches avaient donné lieu à une prise en compte du statut de la personne qui parle et par voie de conséquence du statut de sa parole à l’oral. L’élève devenait alors un authentique locuteur, auteur de ses stratégies d’apprentissage en termes de planification, contrôle et compensation.
Prenant appui sur ce retour historique, Ruth ALIMI a pointé les enjeux du « Grand Oral » (désormais GO) du Baccalauréat. La première session de cette épreuve a donné lieu à des résultats très marqués socialement. Ce sont les élèves les plus en connivence avec la langue de scolarisation qui ont obtenu les meilleurs résultats. Alors qu’il n’y a a priori pas de forme particulière d’oral qui soit attendue pour cette épreuve, on a assisté à la production de discours très convenus, à la manière d’un concours d’éloquence qui n’a pas lieu d’être. Si le GO doit être l’occasion de mesurer les compétences et qualités d’un communicateur, bien au-delà de l’utopie d’une « parole naturelle », alors il faut mettre en œuvre une pédagogie de l’oral, la classe de langue devenant dès lors le lieu de la construction de compétences bien sûr, mais aussi de l’apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie. L’élève doit pouvoir y poser sa voix, mais aussi construire sa voie.
Ruth ALIMI a rappelé quelques vérités. Dans un cours en méthode interrogative orale directe, la parole professorale occupe 70 % du temps. En situation de communication, la partie purement verbale du message occupe 7 %, la dimension non verbale 55 % (respiration, position, gestuelle…), et la dimension para verbale 38 % (rythme, volume, timbre, force, rapidité, mélodie…).
En dernière partie de son intervention, Ruth ALIMI a appréhendé la compétence à communiquer oralement dans ses cinq dimensions sociale, affective, interactionnelle, linguistique, cognitivo – langagière, afin d’en souligner la complexité. Elle a évoqué à cette occasion les règles sociales qui sont à l’oeuvre dans la classe, les enjeux en termes de liberté d’expression et de citoyenneté ; ce qui touche à l’image de soi dans cette micro-société qu’est la classe où parler c’est exister ; la variation et la régulation des situations d’échange, qu’il s’agisse par exemple de réfléchir à plusieurs ou de compenser des déficits d’information ; la question des types de discours, des modèles phonétiques, lexicaux ou grammaticaux, celle de l’évaluation ; enfin, dans le cadre d’un apprentissage explicite, les stratégies d’anticipation, de repérage, de vérification d’hypothèses, de mise en relation, d’interprétation, de débat interprétatif.
Au terme de cet exposé dense dans lequel la réalité du terrain était constamment présente, l’oral est apparu comme un objet complexe qu’on ne peut enfermer dans des pédagogies réductrices.
Laura ABOU HAIDAR a de son côté organisé sa communication autour d’un certain nombre de points de vigilance. Elle a notamment questionné les enjeux identitaires, la question de la norme (quel oral enseigner) ; elle a défendu la nécessité d’une approche plurisensorielle et multimodale de l’oralité ; elle a enfin proposé des pistes pour une articulation des dimensions académique et sociétale.
Autour des enjeux, Laura ABOU HAIDAR a invité à interroger les représentations que se font les élèves de la langue et de la culture – cibles, qui influencent fortement les stratégies et les procédures d’apprentissage. En situation d’apprentissage institutionnel, rien n’est moins naturel que de s’exprimer à l’oral dans une langue étrangère entre pairs. Chez nos adolescents, l’oral engage la « face », c’est-à-dire qu’il peut compromettre l’image de soi, la place dans le groupe. La conscience normative présente chez chaque locuteur pose le rapport à l’erreur, souvent vécue comme une faute. En termes de motivations et d’objectifs, quel oral apprennent les élèves ? Pour quel usage quotidien ? Pour quel prestige social et culturel ? En référence à quelles évaluations ? Il convient alors de poser les termes d’une grammaire de ce matériau sonore fugace qui met en mouvement les organes de perception et de phonation et qui suppose tout un engagement corporel. Les rapports entre code oral et code écrit doivent être posés : à l’oral l’immédiateté, à l’écrit la distance. L’approche pragmatique est notamment l’occasion de repérer à quel point l’auditoire contribue à la performance orale ; les travaux en analyse des interactions de Catherine Kerbrat–Orecchioni méritent à cet égard d’être consultés, ainsi que ceux de Claire Blanche–Benveniste sur le « français oral » dont les dimensions syntaxique, sémantique, phonique sont tout à fait spécifiques. On peut mentionner également les procédés de création lexicale tels que troncation, coupure, déformation (sympa, ciné, cinoche …), etc. Toutes ces caractéristiques sont au coeur de la langue orale conçue comme un objet vivant.
Dès lors il convient pour Laura ABOU HAIDAR d’interroger les genres de l’oral qui sont à l’oeuvre dans la classe de langue. Il y a un discours oral de l’enseignant, il y a un oral pédagogique. On pointe souvent le fait que les productions orales des élèves relèvent trop souvent de l’écrit oralisé, calqué sur les règles du code écrit. La consultation de corpus variés serait une stratégie pédagogique à envisager. Il faut aussi poser la question de la norme de la langue à enseigner. S’il y a une norme de référence, celle-ci est à interroger dans ses dimensions géographique, sociale, culturelle, contextuelle. Certes, les contraintes institutionnelles sont à prendre en considération, la question des objectifs spécifiques (dans le cadre des DNL, par exemple) en est une. Mais cela ne doit pas occulter les potentialités de l’oral comme vecteur d’apprentissage et comme garantie de co–construction des savoirs au sein de la classe de langue. Il faut que les apprenants soient linguistiquement outillés et informés des objectifs qui leur sont assignés. Par exemple, s’agissant de l’écoute et de la compréhension, qui est un processus très coûteux sur le plan cognitif, il faut penser à poser des bornages clairs. Par exemple, on peut inviter à écouter pour sélectionner, identifier, reformuler, synthétiser, etc.
Pour présenter l’oral dans sa dimension physique, matérielle, Laura ABOU HAIDAR se réfère alors à plusieurs reprises aux travaux de Régine Llorca. Ces recherches proposent une approche par la mémoire, mémoire sensorielle, représentative, motrice. Elles interrogent les interconnexions entre geste et parole, entre rythme et intonation. Elles mettent en évidence les différentes fonctions de la voix comme affirmation de soi, comme mode de théâtralisation du discours, d’adaptation à la situation de communication. La voix est aussi le vecteur d’une construction intime, sociale, culturelle.
Ainsi posée dans ses dimensions multimodale et plurisensorielle, l’oralité telle que l’a présentée Laura ABOU HAIDAR mérite une valorisation institutionnelle forte, dans laquelle soient favorisées des activités qui privilégient l’engagement individuel des élèves et permettent de poser des cadres de discours. La pédagogie de projets est une des pistes à explorer dans cette intention.
Ces deux exposés , empreints tous deux d’une profonde humanité, ont donné lieu à des échanges constructifs et riches depuis la salle et de la part des personnes qui suivaient le séminaire à distance. L’APLV tient à remercier toutes ces personnes et les intervenantes pour ces exposés et ces interactions de grande qualité universitaire et humaine.
Pascal LENOIR