Interview : Serge Hureau, « Langues de France en chansons »

Interview publiée dans le Polyglotte n° 69, juin 2007
samedi 13 octobre 2007
 Bernard DELAHOUSSE

Serge Hureau est directeur du Hall de la Chanson, Centre National du Patrimoine de la Chanson, des Variétés et des Musiques actuelles, association qui a pour mission la mise en valeur des répertoires de la chanson, à travers des conférences, des spectacles, des formations, des actions culturelles, et un site Internet qui constitue un véritable musée virtuel de la chanson.

APLV : Votre site www.languesdefranceenchansons.com n’est pas inconnu des lecteurs du Polyglotte (cf. le n°65 de juin 2006, p.13), ni des visiteurs réguliers du site de l’APLV qui lui a consacré plusieurs articles. Pourriez-vous néanmoins nous indiquer brièvement quels en sont les objectifs ?

Serge Hureau : Bien souvent saisir d’abord l’air d’une langue, sa musique, c’est commencer à l’apprendre, ouvrir son appétit à la connaître. C’est vrai de l’opéra pour l’italien, des Beatles pour l’anglais. Pourquoi ne le serait-ce pas des langues régionales, portées par les rondes, les bourrées, les danses bretonnes, la sardane, la biguine et autres rythmes de nos DOM-TOM, du yiddish porté par les musiques klezmer, de l’arabe dialectal porté par la nouba… ? Les langues et musiques de France qui se tressent dans les chansons participent à ce qu’on nomme depuis les années 1990 les « musiques du monde », secteur très vivant des musiques dites « actuelles ». Ces musiques en fait réussissent l’alliance des musiques traditionnelles et de la création.

APLV : Toutes les langues de France sont-elles représentées sur ce site ? Sur quels critères ont-elles été choisies et par qui ?

S.H. : Toutes les langues de France sont représentées sur le site : les langues régionales (alsacien, basque, breton, catalan, corse, flamand occidental, francique mosellan, franco-provençal, les langues d’oïl et l’occitan), les langues non-territoriales (arabe dialectal, arménien occidental, berbère, judéo-espagnol, romani, yiddish), la langue des signes française et les langues d’outre-mer (Zone caraïbe, Nouvelle Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna et Mayotte).
Concernant la zone caraïbe, les créoles à base lexicale française (guadeloupéen, guyanais, martiniquais, réunionnais) sont intégralement traités. Par contre, les créoles bushinenge de Guyane et les langues amérindiennes de Guyane ne sont qu’évoqués. Par ailleurs, il existe une fiche générale sur les vingt-huit langues canaques, mais elles ne sont pas abordées dans le détail. Il en est de même pour les langues de la Polynésie française.
Il n’y a aucun critère de sélection. Nous sommes partis de la liste officielle de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France.

APLV : Outre les chansons elles-mêmes, ces langues sont présentées sous forme de trois rubriques : définition de la langue - chansons d’hier et d’aujourd’hui - interviews. Qui décide des chansons et des contenus ? Comment ceux-ci sont-ils réalisés, puis validés ?

S.H. : La rubrique « définition de la langue » a été fournie par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. La rubrique « chansons d’hier et d’aujourd’hui » a été rédigée par un passionné, Guillaume Veillet (journaliste spécialiste des musiques traditionnelles et world, rédacteur en chef de la revue Trad Mag) pour et avec validation du Hall de la Chanson. Il a également choisi les extraits musicaux dans sa très large discothèque personnelle. Les « interviews » ont été réalisées par l’équipe du Hall.

APLV : En moyenne, combien de visiteurs recevez-vous par semaine ? Comment jugent-ils votre site ? Comment l’évaluez-vous ?

S.H. : 800 visiteurs uniques par jour en moyenne pour le deuxième semestre 2006, et 420 visiteurs par semaine pour le premier semestre 2007. La répartition géographique des visiteurs pour le deuxième semestre 2006 est de 21 562, dont 18 775en Europe, et pour le premier semestre 2007 de 11 001 dont 8 904 en Europe. L’évaluation quantitative (nombre de visiteurs, écoute des chanson proposées) du site se fait à l’aide d’outils tels que Xiti et des solutions statistiques « maison » portant sur le nombre des clics/écoutes des chansons. L’évaluation qualitative se fait à partir de témoignages, de réactions et remarques recueillies dans les forums spécialisés, par courriels adressés au Hall et des entretiens téléphoniques avec des internautes intéressés. Tous s’accordent à reconnaître l’importance de ce site pour la valorisation, la reconnaissance et la transmission de patrimoines musicaux régionaux. Le Hall est sollicité régulièrement par des groupes de musique pour intégrer leurs productions dans le site.

APLV : L’APLV regroupe des enseignants de toutes les langues, y compris celles de France. Outre les aspects culturel et linguistique, dans quelle mesure ce site peut-il les intéresser sur le plan professionnel ? Pour une utilisation en classe, la question des droits d’auteur ne se pose-t-elle pas ?

S.H. : En dehors de l’aspect culturel et linguistique, le site peut servir dans le cadre de formations professionnelles spécifiques aux métiers de musique (musiciens intervenant dans les écoles), de la documentation (documentalistes spécialisés), de la formation des formateurs. « Langues de France en chansons » ainsi que plusieurs sites du Hall sont utilisés dans le cadre de la formation de courte ou longue durée proposée par les ateliers du CMTRA (Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes). L’utilisation du site en classe ne pose pas de problèmes juridiques : les extraits musicaux ne dépassent pas les 30 secondes ; quant aux autres médias, textes et interviews sont libres d’utilisation (droits textes appartenant au Hall de la Chanson et à la Délégation ; droits interviews au Hall de la Chanson) ; seules les illustrations ne sont pas proposées en utilisation libre.

APLV : Le site évolue-t-il régulièrement ? Si oui, comment ? Quels sont vos projets pour les années à venir ?

S.H. : Ce site en fait vient compléter tous les autres sites du Hall accessibles sur www.lehall.com : sites thématiques ou anthologiques, portraits, conférences chantées… : nous en produisons 4 à 6 nouveaux par année. Sites fouillés, ils font appel à chaque fois à des auteurs. Nos prochains sites vont se consacrer à l’histoire des salles de spectacles de chansons, un autre est en préparation sur les chansons enfantines. Nous venons de créer aussi "On ne connaît pas la chanson", site avec des chansons entières cette fois, consacré aux élèves et professeurs des collèges et lycées. La chanson y est proposée somme outil d’approche de l’histoire, du français, et de la musique bien sûr. Ce site est accessible par abonnement et consultable uniquement dans l’établissement scolaire.

APLV : "Langues de France en chansons" est réalisé par le Hall de la Chanson, dont vous êtes le Directeur, en co-production avec la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Pouvez-vous nous présenter votre association : ses objectifs, ses moyens humains et matériels, ses partenaires … ?

S.H. : La vocation du Hall de la Chanson est de valoriser le patrimoine méconnu de la chanson, oublié, parfois injustement négligé, et d’en raconter l’histoire. La particularité du Hall tient à une démarche culturelle et éducative, basée sur la mixité des activités et des outils visant à sensibiliser les publics au patrimoine musical populaire en France.
Depuis sa création, le Hall de la Chanson est très actif dans la valorisation du patrimoine de la chanson à travers des spectacles, des parcours-visites, des expositions, des bornes multimédias, des conférences chantées, et bien sûr un ambitieux site Internet qui propose des expositions thématiques en ligne, et reçoit près de 70 000 visiteurs par mois.
Nous poursuivons l’objectif de créer un lieu ouvert aux publics dédié à la chanson et à ses répertoires (lieu d’exposition, de spectacles, de formation et d’action culturelle). Le Hall de la Chanson est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication et par la SACEM
Comme dans tout travail d’édition, le site "Langues de France en chansons" est né du dialogue de l’auteur avec nous et l’équipe de la DGLFLF qui, plus qu’être administrative, est aussi une équipe d’intellectuels.

APLV : La réalisation du site n’est qu’un aspect de vos activités. Quels sont vos autres domaines d’action ? Quel est votre programme pour la rentrée 2007 ?

S.H. : Nos projets sont nombreux pour la saison prochaine. Nous allons continuer notre cycle de conférences chantées, au cours desquelles un journaliste et un chanteur d’aujourd’hui offrent en chansons et en paroles leurs regards croisés sur une grande figure de la chanson. Ces conférences sont présentées à Paris tout au long de l’année, et dans des festivals de manière plus événementielle. Nous présenterons aussi en tournée le spectacle Music-Hall d’Immeuble, que nous avons présenté notamment à Mogador la saison dernière, et qui aborde de manière à la fois ludique et didactique les liens entre musiques savantes et musiques populaires. Ce spectacle peut se jouer avec un orchestre de neuf jeunes musiciens recrutés localement dans chacune des villes où nous le présentons : c’est donc à chaque fois une véritable aventure artistique. Nous avons aussi le projet d’une grande exposition itinérante, qui sillonnera la France au printemps prochain. Enfin, nous travaillons à l’organisation en région d’une université d’automne sur l’histoire de la chanson, à destination d’enseignants de toute la France.

APLV : Quel bilan faites-vous de votre action à la tête du Hall de la Chanson ?

S.H. : Vaste sujet… Le Hall de la Chanson a choisi dès 1991 le multimédia, et Internet depuis 2001 ; il touche un très grand nombre d’internautes. Les besoins de diffusion du patrimoine de la chanson nous font désirer proposer aussi une activité de spectacles vivants (ce que nous avons commencé avec nos conférences chantées). En effet, c’est dans la ré-interprétation du répertoire, sa revisite, qu’on peut - comme au théâtre ou dans les musiques savantes – donner le goût d’entendre les autres, qui sans cela passeraient aux « oubliettes ». Le Hall de la Chanson aura atteint son objectif avec l’ouverture au public d’un lieu consacré au patrimoine de la chanson, avec expositions, centre de conférences et de consultation et spectacles de revisite du répertoire.

Propos recueillis par B. Delahousse

Sites à consulter
www.lehall.com
www.languesdefranceenchansons.com


—Ha