Saad Khoury est, dans le civil, professeur d’urologie à Paris. Très intéressé par la littérature, surtout la littérature classique, il s’occupe du projet *Cadmos réalisé par l’Association pour la Sauvegarde et la Promotion du Patrimoine culturel mondial, dont il est le président et qu’il a fondé avec des amis en collaboration avec l’UNESCO et l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Le projet « Romans de toujours » fait partie du projet Cadmos.
APLV : Le projet « Romans de toujours » que vous dirigez vise à remplir plusieurs objectifs. Pouvez-vous nous les présenter brièvement ?
Saad Khoury : L’objectif principal est de diffuser, sous une forme agréable et moderne, les trésors de la littérature romanesque mondiale pour qu’ils soient accessibles au plus grand nombre. L’objectif est aussi de faire aimer la langue française, la lecture, la littérature classique et la culture en général. Associer l’utile à l’agréable.
APLV : Dans quel cadre votre projet s’inscrit-il ? Quelle est sa spécificité par rapport à d’autres projets de sauvegarde du patrimoine mondial ?
S.K. : Le public d’aujourd’hui lit moins, surtout lorsqu’il s’agit d’ouvrages classiques. Nous pensons qu’il est bien dommage que ces ouvrages tombent progressivement dans l’oubli collectif. Par leur caractère universel, ils représentent un élément fédérateur entre les hommes de cultures différentes, créant ainsi un climat de confiance et de respect mutuel indispensable à la coexistence dans un monde culturellement fracturé. Notre spécificité, c’est de mettre ces ouvrages à la disposition du plus grand nombre de façon attrayante en utilisant des supports modernes. Pour cela, nous utilisons les nouveaux supports de l’écrit que sont le livre numérique et le livre audio en plus de l’adaptation en BD.
APLV : Combien d’oeuvres sont-elles concernées ? Comment seront-elles diffusées ? Sous quelles formes ?
S.K. : Dans une première étape, nous allons sortir 50 titres d’ici fin 2009. Nous puisons dans les trésors des oeuvres classiques francophones et internationales afin de faire connaître au monde les oeuvres francophones, et aux francophones les oeuvres mondiales. La palette est large de Madame Bovary à La Guerre des mondes, d’Oliver Twist, à Guerre et paix, en passant par Les Mille et une nuits, etc.
APLV : Comment ces titres ont-ils été choisis ? La liste actuelle est-elle limitative, ou d’autres œuvres sont-elles prévues ?
S.K. : Ces titres ont été choisis par un Comité éditorial composé d’écrivains, de professeurs et d’hommes de lettres. Nous nous sommes limités aux oeuvres classiques hors droits. D’autres étapes vont suivre, dont la nature sera décidée par le comité éditorial après une évaluation de la présente série.
APLV : Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour diffuser ces oeuvres ? Visez-vous seulement un public de jeunes ?
S.K. : La bande dessinée est aujourd’hui devenue un mode d’expression à part entière qui a l’avantage de se situer à mi-distance entre le texte écrit et l’audiovisuel. La lecture reste le moyen principal d’acquisition du vocabulaire et des connaissances. C’est un média qui plaît non seulement aux jeunes mais aussi à toutes les générations. Nos ouvrages sont destinés à toute la famille ; des enfants aux grands-parents, tous y trouveront leur bonheur et certains leurs souvenirs aussi.
APLV : Quel a été le cahier des charges des scénaristes, des dessinateurs, des dialoguistes, etc. ?
S.K. : Les scénaristes doivent choisir leurs dialogues dans le texte original de l’auteur afin d’en garder le goût et le parfum. Quand vous lisez la BD Tartarin de Tarascon, par exemple, vous lisez du Daudet et Madame Bovary du Flaubert. C’est plus difficile mais c’est indispensable. En ce qui concerne les dessinateurs, nous nous sommes mis d’accord pour garder ce qu’on appelle « la ligne claire ». Ce genre de dessins est adapté à la littérature classique ainsi qu’à toutes les générations. Scénaristes et dessinateurs sont sélectionnés parmi les meilleurs de la profession.
APLV : La principale originalité de ces BD, c’est que chaque album comprend des annexes culturelles. Des membres de l’APLV ont contribué à certaines d’entre elles. Pouvez-vous nous les décrire brièvement ?
S.K. : La plupart de ces romans classiques ne peuvent être vraiment compris et appréciés que si l’on connaît la période historique et sociale qui existait au temps du roman. D’autre part, c’était aussi l’occasion de parler de l’auteur et de son oeuvre. Afin d’améliorer le vocabulaire, nous avons joint un lexique français-français et un autre en six langues, en particulier pour les millions de personnes qui apprennent le français en deuxième langue. Un des objectifs de cette série est de faire aimer la langue française en France ainsi qu’à l’étranger et à aider à l’amélioration du vocabulaire, en particulier chez les jeunes. Les médecins savent bien qu’un vocabulaire pauvre est source de violence à cause de l’incapacité à pouvoir s’exprimer correctement. L’apport des membres de l’APLV et de l’APLF est déterminant étant donné leurs compétences et leur expérience dans ce domaine, et nous nous félicitons de cette collaboration fructueuse. C’est l’un des atouts de cette série.
APLV : Chaque album est accompagné d’un CD-ROM et d’une version audio. Quelle utilisation spécifique avez-vous envisagé pour chacun de ces supports ?
S.K. : Le livre écrit ne se limite plus au livre imprimé. De plus en plus nous allons utiliser le livre numérique et le livre audio. Toutes les grandes bibliothèques du monde sont en train de numériser à cet effet leurs ouvrages dont la plupart d’ailleurs existent gratuitement sur Internet. La Chine et l’Inde ont décidé de court-circuiter l’édition imprimée pour passer à l’édition électronique, comme ils sont passés au téléphone mobile sans passer par le téléphone fixe. Le livre audio est un nouveau format qui va se développer à grande vitesse. Il représente 6 % de l’édition aux États-Unis et en Allemagne contre seulement 1 % en France. Les progrès technologiques des baladeurs facilitent l’écoute du livre audio Dans un même baladeur, on peut mettre, à côté des chansons, des dizaines d’ouvrages qu’on peut écouter à sa guise. Avec le vieillissement de la population le livre audio deviendra capital pour le grand nombre de personnes qui ont des troubles visuels.
APLV : L’APLV regroupe des enseignants de toutes les langues. Outre l’aspect culturel et pédagogique évident de ces différents supports, comment selon vous peuvent-ils s’intégrer dans la classe de langue ? Pour une utilisation en classe, la question des droits d’auteur ne se pose-t-elle pas ?
S.K. : Les professeurs de l’APLV et de l’APLF ont conçu les dossiers joints à la B.D. pour être utilisés aussi en classe. C’est ainsi qu’on a ajouté des extraits de textes, qu’on appelait autrefois les « morceaux choisis », pour être lus et commentés après avoir lu l’histoire en B.D. En effet, très souvent les élèves sont en face d’un texte extrait d’un ouvrage dont ils ne connaissent ni l’histoire ni les personnages, ce qui évidemment casse tout l’intérêt du texte. Certains professeurs comptent distribuer aux élèves des copies de pages dont ils auront préalablement enlevé le texte des bulles, puis leur demander de réécrire le scénario. De nombreuses autres utilisations peuvent être faites.
APLV : Quel bilan, même provisoire, faites-vous de ce projet ? Qu’attendez vous à moyen ou long terme de cette « BD solidaire » ?
S.K. : L’accueil de cette série a été excellent. Ces BD sont distribués par le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), ce qui montre qu’elles tiennent bien la route. Nous sommes confiants que le public suivra. L’objectif de cette collection n’est pas seulement littéraire, il a également l’ambition de montrer la force de nos gestes quotidiens dans la transformation du monde :
– B.D. Solidaire car, pour deux ouvrages vendus, l’éditeur offre un ouvrage gratuit à l’OIF et à l’UNESCO, ainsi qu’à d’autres associations caritatives, pour leurs programmes éducatifs dans les pays à faible revenu. Nous voulons par ce geste faire prendre conscience aux gens de la nécessité du partage et de la solidarité.
– B.D. Verte, puisque nous avons recours à du papier recyclé et à des imprimeries au label imprimant en vert, pour faire prendre conscience que la défense de la nature passe par nos gestes quotidiens sans lesquels aucun projet n’a de chances de réussir dans ce domaine.
* Cadmos est, dans la mythologie grecque, le fils du roi phénicien Agénor, et le frère de la princesse Europe ; parti à la recherche de sa sœur après son enlèvement par Zeus, il aurait apporté l’alphabet dans ses bagages et fondé plusieurs villes, dont Thèbes.
Propos recueillis par B. Delahousse
Site à consulter : www.romans-de-toujours.com