« Explication de textes et perspective actionnelle : la littérature entre le dire scolaire et le faire social », par Christian PUREN

dimanche 8 octobre 2006
 Christian PUREN

Christian PUREN
Université de Tallinn (Estonie),
christian.puren@tlu.ee
Université Jean Monnet de Saint-Étienne (France),
christian.puren@univ-st-etienne.fr
CELEC-CEDICLEC, www.dlc.sup.fr

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Introduction

Cet article s’inscrit dans le prolongement de ceux
que j’ai précédemment publiés sur la question de la littérature dans la revue Les Langues modernes en 1989, 1990, 2000 et 2002. [1] Il reprend par ailleurs presque textuellement les pages 29-33 d’une conférence de 2006 publiée sur ce même site de l’APLV. On se reportera à la bibliographie finale.

La thèse que je vais défendre ici est que la « perspective actionnelle » ébauchée dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) de 2001 amorce une sortie de l’approche communicative et annonce une nouvelle conception d’ensemble de l’enseignement-apprentissage des langues qui permettent de « revisiter » historiquement la méthodologie active et de repenser la didactique du texte littéraire en classe de langue. La perspective actionnelle et la méthodologie active, en effet, ont en commun de se fonder sur l’agir en général de l’apprenant - et sur l’agir collectif -, et non, comme l’approche communicative, sur une seule forme très particulière d’activité, celle de la communication langagière interindividuelle.

La méthodologie active est la méthodologie officielle pour l’enseignement de toutes les langues vivantes dans les instructions ministérielles françaises des années 1920 aux années 1960, et son activité de référence, l’ « explication de textes », est encore actuellement le modèle des épreuves tant orales qu’écrites au baccalauréat français, avec tous les effets connus de modélisation en amont (au moins pendant les années du lycée) sur les attentes, demandes et objectifs des apprenants et des enseignants. L’activité de l’explication de textes a été étendue dans la méthodologie active, au cours de son histoire, à d’autres types de textes et même à d’autres types de supports (cela est particulièrement visible dans la tradition hispanique en ce qui concerne les documents photographiques et filmiques), mais cette activité a été élaborée à l’origine pour les documents littéraires, et c’est à eux qu’elle reste la plus adaptée. Pour une histoire détaillée de cette méthodologie constituée, je renvoie à mon ouvrage de 1988, chapitre 4.

Je tiens d’emblée à mettre en garde, en ce qui concerne les idées que j’expose dans ce texte, contre leur instrumentalisation possible au service d’un combat d’arrière-garde qui n’est pas le mien, tout au contraire. J’ai déjà suffisamment critiqué - dans Les Langues modernes et ailleurs - les effets négatifs mécaniquement provoqués par une « entrée » exclusive par les documents, par une intégration didactique maximale autour d’un document unique ou encore par une utilisation conjointe du texte littéraire comme à la fois document informatif et prétexte à entraînement linguistique ; j’ai suffisamment ferraillé pendant des années contre la tradition hispanique, qui a maintenu jusqu’à présent un privilège irraisonné et irréaliste aux documents littéraires et à un unique modèle de référence d’explication de ces textes, pour pouvoir espérer que mon discours ne donne pas d’arguments aux défenseurs de cette tradition qui les aideraient à en prolonger de quelques années encore l’interminable agonie, au motif que cette explication de textes serait déjà de la perspective actionnelle avant l’heure, ou qu’on pourrait encore une fois sauver l’immeuble au prix d’un ravalement de façade. Je pense qu’il est effectivement possible de « revisiter » cette activité, mais ce terme implique très précisément, d’une part que l’on (re)vienne d’ailleurs, d’autre part que ce n’est pas la demeure principale, et moins encore la tour d’ivoire où l’on pourrait se retrancher à l’abri des vaines agitations extérieures d’empêcheurs d’enseigner en rond.

Aux formateurs et enseignants d’espagnol qui considèrent que cette explication de textes littéraires peut encore rester l’activité sinon exclusive, du moins de référence, je ne peux que conseiller d’interrompre dès à présent la lecture de cet article, et de passer leur chemin en allant découvrir ceux de la méthodologie audiovisuelle et de l’approche communicative auparavant parcourus par d’autres traditions didactiques, comme celles de l’anglais et du français langues étrangères. J’ai commencé ma carrière d’enseignant comme stagiaire agrégé d’espagnol en 1972, mais j’ai eu la chance de pouvoir voyager par la suite (dans d’autres pays, d’autres langues et d’autres traditions didactiques), et la visite que j’effectue ici n’est pas du tout de ma part un retour nostalgique à un quelconque bercail : elle est simplement une nouvelle occasion de me dégourdir les neurones en me déplaçant à nouveau. La seule vérité de la recherche didactique, en effet, c’est la recherche elle-même, à l’instar de la compétence fondamentale d’un enseignant, qui est d’essayer constamment de maintenir son efficacité en accompagnant l’évolution de ses élèves et de leur environnement. Il n’y a pas de refuge, ni même de chemin tout tracé, seulement le déplacement, qui dessine après coup un imprévisible parcours. C’est ce qu’exprime magnifiquement Antonio Machado dans son plus célèbre poème :

C’est assurément le grand intérêt actuel du CECR que d’offrir une occasion de se remettre en route, mais il faut espérer qu’inspecteurs et formateurs en langues ne confondent pas une nouvelle fois, comme trop d’entre eux l’ont fait trop souvent dans le passé, la destination avec le voyage. Leur rôle n’est pas d’être des gardiens poussant leur troupeau vers un nouvel enclos, voire des déménageurs transportant et empilant des colis dans un nouvel appartement, il est d’être, comme les enseignants avec leurs élèves, des accompagnateurs. [2] Mais il faut pour cela connaître parfaitement le territoire, ce qui suppose qu’on l’ait soi-même parcouru en tous sens, de manière à ne pas se perdre ni perdre ses voyageurs quand ceux-ci forcément voudront aller leur propre chemin en dehors des sentiers balisés.

Le parcours de la didactique des langues-cultures nous a amenés en trois quarts de siècle depuis la méthodologie active et son activité de référence, l’explication de textes littéraires, jusqu’à l’actuelle perspective actionnelle, et il m’a semblé que le moment était propice pour organiser un petite randonnée d’entraînement de l’une à l’autre. Elle nous fera repasser un instant par l’approche communicative, et nous aurons même l’occasion d’apercevoir au passage la méthodologie traditionnelle et la méthodologie audiovisuelle. Alors, si vous en êtes d’accord, « suivez le guide »...

1. La méthodologie active, ou quand faire la classe, c’est « faire dire »

La classe de langue est un espace où, depuis plus d’un siècle maintenant, est en principe privilégié un usage maximal de la langue étrangère parce que celle-ci y est conçue à la fois comme l’objectif et le moyen de l’enseignement-apprentissage. La déclaration fondatrice de la discipline « langue vivante » dans l’enseignement scolaire français apparaît dans l’Instruction officielle du 13 septembre 1890 : « Une langue s’apprend par elle-même et pour elle-même, et c’est dans la langue, prise en elle-même, qu’il faut chercher les règles de la méthode. » Cette petite phrase pose le grand principe de l’enseignement moderne des langues qui n’a jamais été remis en cause depuis, au-delà de toutes les ruptures méthodologiques et de la diversité des objectifs et des environnements d’enseignement-apprentissage, celui de l’ « homologie fin-moyen » : la fin assignée à l’enseignement-apprentissage est la langue (cf. « pour la langue) », qui est en même temps le moyen privilégié de l’enseignement-apprentissage (cf. « par la langue »). En d’autres termes, pour appliquer ce principe à l’expression orale (mais il vaut aussi bien sûr pour les trois autres habilités langagières), c’est d’abord en parlant que l’on apprend à parler, c’est d’abord en faisant parler que l’on enseigne à parler.

C’est ce statut particulier de la langue qui, toutes méthodologies confondues là encore, a placé depuis lors au centre de la « leçon » (ou, en d’autres termes plus modernes, comme principe d’unité de l’ « unité didactique ») un document de langue − qu’il soit authentique comme le texte littéraire ou journalistique, ou fabriqué comme le « dialogue de base » audiovisuel − dont on fait reproduire la langue et sur lequel on fait produire de la langue par les élèves jusqu’à ce qu’ils soient capables de réaliser leurs propres productions en recombinant pour eux-mêmes les formes linguistiques fournies par le document. Dans le modèle « standard », celui de l’ « intégration didactique maximale » où la plupart des tâches langagières proposées aux élèves se réalisent à partir et à propos d’un support unique [3], c’est à partir de ce seul document initial que se construit la cohérence de toute l’unité didactique. Ce dispositif apparaît dans la méthodologie active, mais il est repris dans la méthodologie audiovisuelle, où le texte littéraire est simplement remplacé par un dialogue. Dans cette tradition didactique transméthodologique, on peut dire, pour reprendre la formule bien connue de l’Ancien Testament, qu’« au début est le Verbe », celui du document langagier de base sur lequel (à propos duquel/à partir duquel) les élèves sont invités à parler en en reprenant ses formes linguistiques pour se les approprier. L’importance qu’a conservée la méthode interrogative dans nos classes s’explique principalement par cette volonté, en « soumettant l’élève à la question », de le « faire parler » à tout prix sur le document imposé.

Dans la méthodologie active des années 1920-1960 - qui s’est maintenue jusqu’à présent seulement dans les orientations officielles de l’enseignement scolaire de l’espagnol en France - ce dispositif didactique a été systématiquement appliqué à un enseignement conjoint de la langue et de la culture étrangères à partir/à propos d’un support littéraire : c’est la fameuse « explication de textes à la française », où il s’agit, par un parler sur le texte qui assure l’entraînement langagier sur les formes linguistiques qu’il introduit, d’extraire du texte de nouvelles connaissances culturelles et de mobiliser des connaissances culturelles antérieures ou fournies en temps réel par l’enseignant, ou encore recherchées par les apprenants : ce sont les tâches d’« extrapolation » et d’ « interprétation » dont reparlerai dans le modèle d’ « analyse actionnelle de l’explication de textes » présenté plus avant. Mais ce dispositif didactique reste encore de nos jours le modèle des épreuves du baccalauréat français pour toutes les langues, tant à l’oral qu’à l’écrit, l’évaluation des capacités des candidats y portant sur leur capacité à parler sur un document littéraire.

2. L’approche communicative, ou « quand dire, c’est faire » [4]

Dans l’approche communicative, on fait communiquer entre eux les élèves en classe pour qu’ils apprennent ainsi à communiquer en société : on continue donc à y appliquer l’homologie fin-moyen, mais cette fois à la langue en tant qu’instrument de communication dans des situations d’interaction orale de la vie quotidienne.

Le document littéraire n’est pas adapté à la mise en œuvre de cette approche en classe de langue, parce que dès lors qu’il est utilisé comme support à une communication conçue à la fois comme objectif et comme moyen, il ne peut donner lieu qu’à un commentaire « scolaire » puisque les élèves vont spontanément parler en tant qu’élèves au professeur en tant que professeur. Contrairement en effet à ce qui se passe dans les multiples situations d’interaction orale de la vie quotidienne qu’utilise l’approche communicative, on ne peut imaginer en dehors de la situation scolaire une homologie fin-moyen appliquée à la communication sur un texte littéraire en tant que tel (c’est-à-dire dans ses dimensions à la fois langagière, esthétique et culturelle) que dans des situations et chez des publics très particuliers : des auteurs lors d’une table ronde, des critiques littéraires à la radio ou des passionnés de littérature à une terrasse de café, par exemple. On conviendra qu’en contexte scolaire, ces situations simulées de communication ne pourront intéresser qu’un très faible pourcentage des élèves, même parmi ceux achevant leur cursus dans une filière littéraire...

Les candidats, en tout cas, ne se trouvent dans aucune de ces situations authentiques lors des épreuves du baccalauréat, et les enseignants du coup forment en classe des commentateurs et non des communicateurs : il est évident que ce n’est pas la même chose de savoir parler sur des textes dans le cadre très culturellement normé et ritualisé des échanges langagiers en classe de langue ou devant un examinateur au baccalauréat, que de savoir parler avec des natifs inconnus dans des situations variées de la vie quotidienne.

En définitive, c’est toute l’approche communicative qui se révèle inadaptée à la situation scolaire (tout autant que l’inverse !...), puisque dans la mise en œuvre de cette approche l’enseignant demande à l’élève, pour bien apprendre la langue en classe, surtout de s’imaginer qu’il est ailleurs, dans une situation « authentique » de communication, en faisant comme si son dire en classe était un faire social. L’utilisation du courrier électronique, du chat ou de la visioconférence ne réconcilie pas approche communicative et situation scolaire, les TICE, en l’occurrence, étant à juste titre ressentis comme un moyen d’échapper au face à face élèves-enseignants. On voit mal dans ces conditions comment on pourrait motiver les élèves à l’apprentissage scolaire des langues vivantes, et particulièrement à l’explication collective des textes littéraires en classe !

L’approche communicative, cependant, n’a pas changé fondamentalement la logique antérieure du « faire dire » ; même si les sources d’incitation se sont diversifiées − ce sont aussi les autres apprenants, comme dans le pair work, ou les besoins et enjeux communicatifs eux-mêmes, comme dans l’exercice d’information gap ; même si au texte prétexte à production langagière s’est ajoutée la situation prétexte (dans la simulation) ; et même si encore, à côté du faire dire traditionnel à la charge de l’enseignant, a émergé, avec la notion d’acte de parole, un « faire par le dire » assumé par l’élève. Mais en dernière analyse la langue fondamentalement est toujours première, et l’action bien secondaire, qui reste purement verbale. On sait qu’il est dangereux de prendre ses mots pour des actions tout autant que ses désirs pour des réalités, la rhétorique politique nous montrant à l’envi que le nombre des performatifs dans les discours des princes qui nous gouvernent ne constitue pas en soi un indice de leur performance sur le terrain...

Les quelques exemples types de formules très ritualisées constamment ressassés par les linguistes pragmatistes ne changent rien à l’affaire. Qu’un Secrétaire général dise publiquement « Je déclare clos le XXIIIe Congrès de notre Parti » ne le termine pas pour autant si un puissant groupe d’opposants réclame à ce moment-là à cor et à cri la poursuite du débat, et parvient à l’imposer. L’acte de parole n’a de réalité en tant qu’action sociale que si et dans la mesure où il parvient à produire un effet en dehors de son domaine purement langagier. Pour qu’il y ait passage du dire individuel au faire social, il faut par exemple un rapport de forces (comme l’exemple ci-dessus d’un Congrès politique), un pouvoir symbolique accepté par les parties en présence (« Je vous déclare unis par les liens du mariage » ; « Je vous nomme Chevalier des Palmes Académiques »), ou encore - dernier exemple - le poids accordé à une promesse (« Je vous promets que... »). Mais on sait que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient », sans parler de la possibilité qu’a toujours l’énonciateur de distinguer dans son dire entre l’acte qu’il réalise pour lui et celui qu’il réalise pour les autres : « Le roi d’Épire promit de ne rester en Italie que juste le temps nécessaire ; sous la réserve mentale, sans nul doute, de fixer lui-même combien de temps durerait cette nécessité », raconte ainsi Théodore Mommsen dans son Histoire romaine. Bref les « actes de parole », comme leur nom l’indique assez bien, ne sont en tant que tels que des mots, et il leur faut bien autre chose que les simples conventions sociolinguistiques pour provoquer de véritables actions sociales.

Sur ce point, les lignes suivantes du CECR, dans le chapitre consacré à « Une perspective actionnelle » (pp. 14-19) [5], sont importantes : « Si les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. » (2001, Paris : Didier, p. 15) Elles marquent en effet une rupture avec l’approche communicative, même si le terme de « signification » (qui renvoie au langagier, contrairement par exemple au terme « effet », qui n’est pas celui que les auteurs du CECR ont utilisé) laisse penser que le découplage entre acte de parole et action sociale n’est pas encore pleinement assuré ni assumé par les auteurs.

Une seconde rupture significative d’avec l’approche communicative est opérée dans le même paragraphe, juste avant la citation ci-dessus, même si les auteurs ne peuvent pas en tirer les conséquences didactiques parce qu’ils maintiennent par ailleurs la fiction d’une continuité de leurs propositions avec l’approche communicative proposée dans les textes antérieurs du Conseil de l’Europe, à savoir les Niveaux Seuils des années 1970 :

Un cadre de référence pour l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation des langues vivantes, transparent, cohérent et aussi exhaustif que possible, doit se situer par rapport à une représentation d’ensemble très générale de l’usage et de l’apprentissage des langues. La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. (je souligne)

Toute l’approche communicative, en effet, s’était efforcée de neutraliser cette distinction entre l’agir d’apprentissage (ou scolaire) et l’agir d’usage (ou social), son activité de référence, la simulation, consistant pour l’élève à parler en tant qu’apprenant comme s’il était un usager, à y réaliser en classe des actes de parole comme s’il agissait ainsi en société.

Étant donné la nécessité, pour beaucoup des élèves actuels, que leur soit proposé un sens à leur apprentissage en dehors des seuls enjeux scolaires, mais à l’inverse, et tout autant, que les activités purement scolaires aient pour eux un sens en termes d’apprentissage, il est indispensable de revenir à une distinction et à une articulation pour eux compréhensibles et acceptables entre activité d’usage (ou sociale) et activité scolaire (ou d’apprentissage). Cela suppose d’abord que les enseignants se réapproprient eux-mêmes cette distinction et revendiquent la légitimité et l’intérêt des activités « scolaires » en tant que telles. Il est quand même paradoxal, quand on y pense, que le qualificatif de « scolaire » appliqué à un élève ait fini par prendre une connotation négative dans la bouche des enseignants eux-mêmes ; tout comme « artificiel » appliqué à un exercice, alors que le seul avantage spécifique de l’enseignement scolaire est précisément que le processus d’apprentissage peut y être dosé, guidé et aidé par des dispositifs construits à cet effet. L’enseignant est un concepteur de dispositifs d’enseignement-apprentissage, c’est-à-dire que sa pratique consiste en partie en de l’ingénierie, activité professionnelle qu’Herbert A. Simon considère comme relevant des « sciences de l’artificiel » (Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel, trad. Paris : Dunod, coll. « afcet Système », 1991).

Il faut donc disposer de concepts différents pour désigner l’agir social et l’agir scolaire, et je propose à cet effet, contrairement aux auteurs du CECR qui utilisent les deux mots l’un pour l’autre, de parler d’ « action » comme unité de sens au sein de l’agir social (ou d’usage), et de « tâche » comme unité de sens au sein de l’agir scolaire (ou d’apprentissage). Sans considération de qui conduit l’activité, ni de ce qui donne sens à cette unité, ni de sa dimension : ce peut être, pour prendre trois exemples contrastés, un point de grammaire travaillé en cinq minutes dans un exercice structural proposé dans le cahier d’exercices, un thème de civilisation traité en quinze jours sous le contrôle de l’enseignant avec des recherches personnelles de la part d’un groupe d’élèves, ou encore un projet conduit de manière autonome par toute la classe sur l’ensemble de l’année scolaire.

Les relations possibles en classe de langue entre actions et tâches ainsi définies peuvent être modélisées a priori de la manière suivante [6] :

8 [7]

Cette modélisation permet des comparaisons nouvelles entre les grandes méthodologies historiques. Je ferai à ce sujet trois développements.

1. Comme l’action relève des objectifs (ce que l’on veut que l’apprenant soit capable de faire en langue-culture étrangère en société) et que la tâche relève des moyens (ce que l’on fait faire en classe aux apprenants pour qu’ils soient capables de réaliser en société les actions visées), il est logique que le principe d’homologie fin-moyen s’applique aussi à la relation tâche-action. En d’autres termes, on a toujours privilégié comme tâche d’apprentissage en classe de langue l’activité qui s’approchait le plus de l’action visée :

 Dans la méthodologie traditionnelle, on se proposait de former des gens capables de continuer à lire les grands œuvres de la littérature classique. On les entraînait pour cela à traduire, parce que dans le paradigme cognitif alors dominant, dit « indirect », on considérait que la lecture était une traduction mentale instantanée de la langue étrangère à la langue maternelle (parler avec un étranger était donc considéré comme une alternance entre versions orales et thèmes oraux en temps réel), et elle était d’ailleurs travaillée, en enseignement aux adultes, dans un exercice spécial dit « de phraséologie », dans lequel l’enseignant choisissait au hasard, dans des colonnes de phrases avec leur traduction proposées dans le manuel, de lire la version en L1 ou L2, et demandait immédiatement à un élève de la traduire dans l’autre langue.

 Dans la méthodologie active, on se propose de former des gens capables de maintenir plus tard un contact à distance avec la langue-culture étrangère par documents authentiques interposés (textes littéraires, mais aussi tous types de documents authentiques : journaux, revues, disques, émissions de radio et de télévision,...). L’objectif de l’explication de textes littéraires correspond précisément à cette capacité à établir et exploiter ce contact à distance, le « parler sur le texte » fournissant à la fois le prétexte de l’entraînement linguistique et l’occasion à la fois de mobiliser des connaissances culturelles antérieures et d’extraire du document de nouvelles connaissances culturelles.

 Dans l’approche communicative, on se propose d’apprendre aux élèves à communiquer plus tard en société en leur demandant de communiquer en classe entre eux comme s’ils étaient en société (activité de simulation).

 Si l’on prolonge le fonctionnement de ce principe d’homologie fin-moyen à la perspective actionnelle (et on ne voit pas pour l’instant comment ce principe pourrait être abandonné), on formera désormais les élèves à agir socialement en langue-culture étrangère d’abord en les faisant agir socialement en langue-culture étrangère en classe : ce moyen a déjà un nom en pédagogie générale, et c’est la « pédagogie du projet ».

2. La distinction entre « conception » (B) et « préparation » (a1) n’est pas courante en didactique scolaire des langues, mais il me semble d’autant plus nécessaire de la définir clairement qu’elle se trouve être centrale dans cette pédagogie du projet :

 Un projet implique toujours un processus de conception assumé par ses responsables (en l’occurrence, les élèves eux-mêmes) qui par définition est susceptible de transformer le projet lui-même, c’est-à-dire de modifier les actions dont il se composera finalement et, récursivement, ses objectifs. La conception est donc par nature une action portant sur l’action elle-même. Exemple de travail de conception dans le cas d’un projet de voyage à l’étranger : « Où irons-nous cette année ? Combien de temps ? Par quels moyens ? Quels en seront les objectifs (linguistiques, culturels, touristiques,...) et par conséquent les activités que nous prévoirons ? Où logera-t-on (chez l’habitant, en résidence,... ?). Etc. » Les réponses à ces questions ne sont pas fixées à l’avance par l’enseignant, et les réponses initiales des élèves peuvent être modifiées par eux au cours même de la réalisation du projet.

 Le processus de préparation (a1) ne vise que la mise à disposition des ressources et des moyens linguistiques et culturels dont on prévoit qu’ils seront nécessaires au cours de l’action. Exemple de travail de préparation (culturelle et linguistique) pour le même projet de voyage à l’étranger : « Nous avons décidé que le logement serait en famille. Alors, le matin suivant votre arrivée, vos hôtes vous attendent a priori à quelle heure pour prendre votre petit déjeuner ? Pouvez-vous descendre en pyjama ? Si vous trouvez la table mise, pouvez-vous commencer à déjeuner ou devez-vous attendre que votre correspondant ou la maîtresse de maison arrive ? Comment allez-vous saluer ceux-ci pour la première fois de la journée ? Et les fois suivantes ? Etc. » Le soutien (a2), en l’occurrence, sera donné par l’enseignant au cours du séjour en réponse à des questions soulevées et des problèmes exposés par les élèves lors de ses rencontres avec eux, et l’exploitation langagière et culturelle sera assuré au retour en classe (a3).

Chaque méthodologie constituée (qui correspond par nature à une certaine conception globale de l’enseignement-apprentissage, et donc en particulier de la relation fondamentale tâches-actions) élargit ou au contraire restreint l’aire de recoupement entre l’ensemble 1 et l’ensemble 2 (cf. la double flèche horizontale), et accorde plus ou moins d’importance relative aux différents types d’intersection A, B, C et D (cf. les quatre doubles flèches verticales) :

 Dans la « méthodologie traditionnelle », l’aire privilégiée est la A, et plus précisément a1 (la préparation) : les récitations de règles de grammaire, de listes lexicales et de textes appris par cœur, ou encore les exercices de grammaire et de vocabulaire sont autant de tâches qui ne correspondent pas directement à ce que les élèves devront être capables de faire plus tard en langue étrangère (lire des textes littéraires), mais qui sont censées les y préparer indirectement. La tâche de référence de la méthodologie traditionnelle - la traduction des textes littéraires - est bien en homologie avec l’action de référence : on entraîne les élèves à traduire (= lire) en classe pour qu’il puissent continuer à lire (= traduire) plus tard. Mais l’importance prise par la grammaire ainsi que le recours systématique à la combinaison des méthodes transmissive, analytique et déductive (caractéristique de la pédagogie traditionnelle) dans l’enseignement scolaire, y donnent à la préparation un poids finalement plus important que la tâche elle-même de traduction-lecture des textes, ceux-ci devenant des prétextes à une présentation initiale par l’enseignant de contenus grammaticaux et culturels (a1), et à des activités de reprise (a3) collective à l’occasion de la correction des traductions écrites individuelles. Le soutien quant à lui (a2) est assuré exclusivement (et difficilement, si j’en crois mes souvenirs personnels de potache en latin et en grec...) par le livre de grammaire et le dictionnaire, dont les élèves disposent lors de leurs tâches individuelles de version ou de thème en étude ou à la maison.

 La méthodologie active - plus précisément son activité de référence, l’explication de textes littéraires - est conçue selon une relation très particulière entre l’aire 1 et l’aire 2. Cette relation n’est pas de l’ordre de l’intersection, comme les aires A, B, C et D dans cette modélisation, mais de l’ordre de l’assimilation entre l’activité scolaire de l’explication de textes littéraires (l’ensemble des tâches d’apprentissage qui le constituent) et l’activité sociale attendue des gens cultivés lors de leur contact avec des documents authentiques en langue-culture étrangère : on considère alors, en effet, que c’est l’école qui doit former selon ses propres normes les futurs lecteurs en société, et non à l’inverse, comme maintenant, que ce sont les normes non scolaires (« authentiques », « naturelles ») qui doivent s’imposer à la lecture en salle de classe. Cette hypothèse d’inversion historique de la relation modélisatrice école-société (et donc tâches-actions) me semble intuitivement correcte à partir de ma
longue pratique des écrits des méthodologues actifs, et elle est en outre cohérente, si j’en crois les historiens de l’éducation, avec l’idéologie formative très volontariste qui prévalait dans toute la pédagogie scolaire : l’école devait à l’époque former le lecteur comme elle doit encore de nos jours former le citoyen.

Le gros problème structurel auquel se heurte concrètement cette assimilation, bien entendu, c’est que les élèves sont loin d’avoir les moyens linguistiques et culturels dont disposent des adultes « cultivés », et c’est ce qui explique l’importance énorme de toutes les activités d’étayage (a1, a2, a3) dans la méthodologie active. [8] La conséquence est très semblable à celle que j’ai signalée pour la méthodologie traditionnelle : le texte littéraire tend à n’être qu’un prétexte à découvertes et apports langagiers et culturels sous le contrôle étroit de l’enseignant, ce qui justifie les critiques actuelles de certains didacticiens (au nombre desquels je me compte), qui considèrent qu’en y étant à ce point instrumentalisé pour l’enseignement apprentissage de la langue et de la culture, le document littéraire tend à perdre toute littérarité aux yeux des élèves. Comme dans la méthodologie traditionnelle aussi, on aboutit paradoxalement dans la méthodologie active à ce que l’objectif de formation d’un lecteur autonome ne soit poursuivi que par des moyens très directifs, et à ce que l’objectif de formation au goût littéraire soit poursuivi au sein d’un dispositif didactique qui tend à gommer la spécificité du texte littéraire et de la lecture littéraire.

 Dans l’approche communicative, l’aire privilégiée est la C (la simulation d’actions, sous forme de présentation d’un sketch ou jeu de rôles par les élèves eux-mêmes), l’étayage étant réduit (du moins dans les manuels qui systématisent cette approche) au strict minimum, que ce soit en termes de préparation (a1), soutien (a2) ou reprise (a3). La page du manuel Tandem (Didier, 2003) présentée ci-après me semble en fournir un bon exemple [9] :

On voit que les formes linguistiques sont données de manière très ponctuelle sur le support photographique (a2, soutien), l’objectif étant que les élèves puissent immédiatement produire des phrases en simulation de visite (« Voilà la bibliothèque où je travaille. Des élèves lisent des livres. D’autres font leurs devoirs », « C’est là que je viens parfois emprunter des livres », etc.). On peut supposer que dans la partie antérieure de la leçon ces formes ont été déjà introduites et travaillées (a1, préparation), mais il est évident par contre qu’il n’y a pas ici de conception (B) de la part des élèves, ce qui supposerait qu’ils se posent par exemple les questions suivantes, et décident des réponses collectives à y apporter : Doit-on demander une autorisation pour cette visite, et à qui ? Qui va s’en charger ? Comment va-t-on se renseigner sur les centres d’intérêt de ce correspondant ? Est-ce qu’on va lui envoyer préalablement de la documentation sur le collège ? Laquelle ? Si oui, qui va l’élaborer et la lui envoyer ? Que va-t-on lui faire visiter ? Qui se charge de la visite ? Quelles personnes va-t-on avertir de cette visite ? Qui se charge de préparer cette visite avec ces personnes ? Etc., etc. Les auteurs eux-mêmes ne sont pas entrés dans cette logique de la conception de l’action sociale : les deux cas de figure qu’ils proposent ici - la visite organisée pour un nouvel élève et celle d’un correspondant - sont en effet traités de la même manière au niveau de la communication, alors qu’il est évident que ces deux visites devraient être conçues au départ de manières très différentes, en tenant compte en particulier des attentes prévisibles des deux visiteurs. Même en tenant compte de tous les paramètres possibles, les objectifs de chaque visite ne pourront pas être déterminés entièrement a priori, pas plus que les moyens pour les atteindre : ils devront tenir compte en temps réel des réactions de chaque visiteur au cours de la visite, et ce sont ces ajustements en cours de projet opérés par les élèves eux-mêmes qui constituent le premier critère pour juger après coup s’il s’est agi d’un véritable projet.

 Dans la dite « pédagogie du projet », les aires privilégiées sont la B (conception d’un voyage à l’étranger, d’une exposition pour le hall du collège, du site Internet de la classe,...) et la D (présentation à la classe d’un exposé de groupe, table ronde sur un sujet de société, entrevue avec un invité extérieur,...), même si les moyens langagiers et culturels devront aussi être traités en classe (aire A), et que l’on peut imaginer des simulations plus ou moins partielles préalables (aire C) de manière à faire apparaître des besoins langagiers et culturels qui seront ensuite repris (a3) de manière, récursivement, à fournir une préparation (a1) au projet. On connaît aussi dans la pédagogie Freinet le « fichier autocorrectif » de grammaire à la disposition constante des élèves lors de leurs activités d’écriture (a2, soutien) : la pédagogie du projet se révèle un dispositif permettant de varier les relations tâches-actions et de donner un sens à toutes les tâches scolaires en les mettant constamment en relation directe avec des actions sociales.

3. Nous pouvons maintenant développer une nouvelle comparaison entre la méthodologie active et l’approche communicative, et elle fait apparaître des similitudes didactiques surprenantes. Elle sont surprenantes dans le sens où elles n’apparaissent pas à première vue (quelle relation a priori entre un commentaire scolaire de texte littéraire et un jeux de rôles ?) et qu’elles n’ont pas été à ma connaissance signalées auparavant. Mais elles permettent sans doute de comprendre pourquoi ces deux méthodologies peuvent actuellement cohabiter dans l’enseignement scolaire des langues en France, l’une s’étant installée dans le premier cycle, l’autre s’étant maintenue dans le second cycle et dans l’évaluation certificative finale :

a) Dans les deux méthodologies, « dire, c’est faire » : aux actes de paroles dans la simulation communicative correspond le macro-acte de parole en situation scolaire que constitue l’explication de textes, dans laquelle dire ses commentaires sur le texte c’est en faire l’explication.

b) Dans la simulation − exercice de référence de l’approche communicative −, on demande à l’apprenant, comme nous l’avons vu, de faire comme s’il était un usager en disant ce que celui-ci dirait dans cette situation. Dans la méthodologie active, on forme à l’inverse l’apprenant pour qu’il continue à faire en société comme s’il était en train de dire en classe. L’exploitation scolaire des supports littéraires se voulait en effet à l’époque le modèle social de la compétence de lecture d’un homme cultivé. Ce n’est pas la classe qui devait imiter le social, comme dans l’approche communicative, c’était à l’inverse le social qui devait imiter la classe : dans l’explication scolaire traditionnelle des textes littéraires, comme nous l’avons vu, le dire scolaire est un modèle de faire social, et j’ai toujours la forte impression que les commentaires entre Français « cultivés » sur les ouvrages qu’ils ont lus − ou, plus fréquemment de nos jours, sur les films qu’ils ont vus − restent très influencés par le modèle de l’explication scolaire des textes littéraires. [10] Mais dans les deux méthodologies, même si la relation est inverse, la distinction entre actions et tâches est neutralisée dans le champ didactique.

c) Cette neutralisation entraîne dans les deux cas l’effacement de la distinction entre conception et préparation, que nous avons vue plus haut. Dans la méthodologie active, c’est l’enseignant qui conçoit l’explication de textes, mais cette conception consiste à préparer cette explication de telle manière que les élèves, grâce à son aide et à son guidage étroits (en particulier sous forme de questions relativement fermées) puissent la commencer immédiatement en classe sous forme orale et collective. Dans l’approche communicative, la qualité de la simulation est de même évaluée en fonction de son degré de réalisation immédiate, l’idéal recherché étant que les élèves puissent s’y lancer avec une préparation linguistique et culturelle limitée au strict minimum et sans aucun travail antérieur de conception, lequel impliquerait une réflexion préalable sur les stratégies que devraient mettre en œuvre les interlocuteurs en fonction de leurs objectifs, de leurs enjeux communicatifs, de leurs statuts et autres paramètres d’une situation réelle d’action sociale (cf. supra à ce sujet mon commentaire à propos de la page 23 du manuel Tandem).

d) De sorte que dans les deux méthodologies, la tendance est forte à une mécanisation de l’agir, au moins dans les débuts de l’apprentissage. Dans la méthodologie active sous forme de questions types (qui ?, où ?, quand ?, comment ?, pourquoi ?, avec quels résultats ?) appliquées à des documents types (des récits) ; dans l’approche communicative sous forme de séries chronologiques fonctionnelles plus ou moins ritualisées (saluer, s’excuser, demander, puis remercier et enfin prendre congé, par exemple). C’est là sans doute un effet pervers du maintien en premier cycle scolaire français d’une forte liaison langue-culture (caractéristique des deux méthodologies) : la nécessité première d’un rebrassage intensif des formes linguistiques de base tend à provoquer mécaniquement une simplification des contenus culturels et une ritualisation de leur traitement.

3. L’approche actionnelle, ou le faire social

On sait que le CECR ébauche une « perspective actionnelle » dont l’objectif est la formation d’un « acteur social ». Si l’on continue à faire jouer le principe de l’homologie fin-moyen, on peut prévoir dans les années à venir, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, la forte réactivation d’un modèle pédagogique déjà disponible faisant de l’apprenant en classe un acteur social de plein droit, à savoir la « pédagogie du projet ».

3.1 Explication de textes littéraires et faire social « réel-authentique »

Je parle ici de « faire social réel-authentique » pour opposer le « réel » au « virtuel » de la simulation (3.2), et l’ « authentique » à l’ « artificiel » de la salle de classe, sans mettre sous « virtuel » ni sous « artificiel » la moindre connotation péjorative : la seule supériorité de l’apprentissage scolaire sur le bain linguistique [11], mais elle est grande, est justement de pouvoir jouer sur toute cette palette d’activités (réelles ou virtuelles, authentiques ou artificielles) et de les combiner et articuler les unes aux autres selon les besoins des apprenants.

Les enseignants utilisent depuis longtemps les formes d’action sociale par la littérature que sont les représentations de pièces de théâtre ou les lectures publiques de poèmes. On connaît bien par ailleurs le « dossier de civilisation » constitué d’un ensemble de documents groupés autour d’un thème culturel, où peuvent être intégrés, à côté d’autres de type scientifique (historique, sociologique, économique,...), médiatique ou de témoignage personnel, des documents littéraires introduisant la perspective artistique. Jusqu’à présent, ces dossiers étaient proposés tout faits par les auteurs de matériels didactiques : Internet, avec l’accès immédiat à la masse de documents authentiques qu’il autorise, permet désormais que de tels dossiers soient conçus et réalisés dans le cadre de projets par les élèves eux-mêmes (avec éventuellement des collaborations d’autres élèves dans d’autres pays), et qu’ils donnent lieu à exposé en classe et publication sur le Web.

Dans la pédagogie Freinet, la notion de production écrite collective à dimension sociale effective est importante, telle que le « journal de classe » destiné à être diffusé dans l’école et hors de l’école. Cette idée peut être combinée aisément avec celle - elle aussi bien connue et bénéficiant de longues années d’expérience des enseignants - des « ateliers d’écriture », dans lesquels les élèves produisent et publient collectivement des recueils de nouvelles ou de poèmes. Internet permet désormais d’assurer un élargissement des collaborations au-delà des seuls élèves de la classe, et la diffusion des productions des élèves au moyen de la publication sur le Web.

Mais on peut concevoir des projets sociaux réels plus originaux faisant appel à la littérature, la limite étant celle de l’imagination de l’enseignant, des opportunités de terrain et de la motivation de ses élèves (dans cet ordre chronologique, à mon avis). Je me souviens d’un projet présenté il y a quelques années dans un colloque international [12] par un enseignant guatémaltèque de français langue étrangère, et dont l’objectif avait consisté, pour ses élèves, à aller faire en fin d’année des lectures de leurs traductions en espagnol de poèmes français dans d’autres classes de la banlieue défavorisée de Guatemala City. Ce qui avait impliqué qu’ensemble ils lisent des recueils, sélectionnent des poèmes et en travaillent la traduction : autant d’occasions de donner du sens - et le sens était ici clairement celui d’une action citoyenne - à des tâches d’apprentissage linguistique et culturel.

3.2 Explication de textes littéraires et faire social simulé

Il n’est pas toujours aisé ni possible d’exploiter en permanence la littérature dans le cadre d’actions sociales réelles, mais rien n’empêche et personne ne devrait empêcher de combiner pédagogie du projet et simulation. Prenons l’exemple d’un projet, supposé être présenté à un éditeur, d’édition illustrée d’un nouvelle : les élèves devraient pour cela chercher et sélectionner les différentes illustrations, et se mettre d’accord entre eux pour réaliser le montage correspondant. Dans cet exemple, comme sans doute dans beaucoup d’autres qui pourraient être imaginés en simulation, la dimension interdisciplinaire pourrait être envisagée (avec le professeur d’Arts plastiques dans l’exemple donné). Là aussi, la publication finale sur Internet donne désormais potentiellement à toute production des élèves une certaine dimension de « réalité sociale » qui peut certainement aider à leur motivation, dans la mesure où c’est l’image qu’ils ont et qu’ils donnent d’eux-mêmes en dehors de l’espace scolaire qui se trouve ainsi mise en jeu.

Enfin, comme c’est déjà le cas dans l’exemple du projet imaginé par l’enseignant guatémaltèque, la « compétence de médiation » et l’objectif de « compétence plurilingue et pluriculturelle » introduits dans le CECR ouvrent sur des possibilités d’activités faisant appel simultanément à la langue-culture/littérature maternelle des élèves et à d’autres langues-cultures/littératures étrangères. Les travaux existants de littérature comparée offrent dès à présent une mine d’idées à exploiter en didactique des langues-cultures. [13]

3.3 Explication de textes littéraires et faire scolaire


Mais dans l’avenir actuellement envisageable de l’enseignement-apprentissage scolaire des langues, l’explication « traditionnelle » de textes littéraires gardera une certaine place pour au moins les quatre bonnes raisons suivantes :

1) La situation d’éloignement avec la langue-culture étrangère est la situation naturelle de la classe, et elle est (et restera pour longtemps encore sans doute) celle de beaucoup d’élèves en dehors de la classe : il est donc toujours utile « de former des gens capables de maintenir plus tard un contact à distance avec la langue-culture étrangère par documents authentiques interposés (textes littéraires, mais aussi tous types de documents authentiques : journaux, revues, disques, émissions de radio et de télévision,...) », pour reprendre textuellement ce que je disais plus haut à propos des objectifs sociaux de la méthodologie active.

2) Ce type d’activité est peu coûteux en moyens, en organisation (elle se fait en classe ordinaire avec le manuel ou quelques photocopies, et le tableau) et, last but not least, en temps de préparation par l’enseignant.

3) Ce type d’activité constitue un modèle puissant et maniable de conception de tâches scolaires à partir et à propos d’un texte littéraire en enseignement simultané de la langue et de la culture : le rapport temps de préparation / efficacité en termes d’apprentissage est potentiellement très élevé.

4) Il est toujours nécessaire de former de futurs professionnels et des citoyens capables d’aborder sous des perspectives différentes des documents non immédiatement transparents et ouvert à des interprétations multiples, et qui soient capables de se concentrer pendant un certain temps sur leur étude approfondie.

Ces arguments ne valent toutefois que si l’on assigne à cette explication de textes littéraires des fonctions spécifiques à côté des autres types activités sur d’autres types de supports, et qu’on la revisite à la lumière des orientations didactiques contemporaines. C’est ce que je me propose de faire dans la suite de cet article, avec ce que l’on peut appeler une « analyse actionnelle » de cette explication de textes littéraires, c’est-à-dire une analyse de ce type de textes en termes de tâches (scolaires) à réaliser par les élèves.

Analyse actionnelle de l’explication de textes littéraires

1. Paraphraser

  • Définition : on « explique » le sens littéral d’une partie du texte en la reformulant. [14]
  • Objectifs de l’enseignant : 1) faire manipuler les structures (entraînement grammatical en situation de commentaire de textes) ; 2) expliquer le sens littéral d’un passage difficile, d’une partie du texte, de l’ensemble du texte ; 3) introduire d’autres tâches (analyser, interpréter, extrapoler, etc. : cf. ci-dessous) sur le texte.
  • Objectifs de l’élève/du candidat : 1) montrer qu’il maîtrise les structures de la langue (exemple : passage au style indirect) ; 2) montrer qu’il a compris le sens littéral ; 3) permettre d’enchaîner ensuite avec d’autres tâches.
  • Exemples de consignes correspondantes : [À propos de « - Pas de courrier ? » dans un dialogue de base] 1) « Qu’est-ce qu’il demande au facteur tous les matins ? » . 2) « Qu’est-ce que ça veut dire que ‘Tous les matins, il trouvait sa boîte à lettres vide’ ? »- 3) « Vous vous souvenez de ce qu’il constate tous les matins ? » [Reformulation possible : « ... que personne ne lui a écrit »]  « Pourquoi est-ce que personne ne lui écrit ? / Que peut-il en penser ? » ( : enchaînement avec une tâche d’interprétation).

2. Analyser

  • Définition : on « explique » le texte par lui-même au moyen d’une mise en rapport entre eux d’éléments différents du texte.
  • Objectif de l’enseignant : entraîner chez ses élèves les capacités d’analyse et de synthèse (la synthèse correspondant au résultat d’ensemble des analyses partielles).
  • Objectif de l’élève/du candidat : montrer qu’il est capable de parler de manière pertinente d’un texte à partir d’une seule exploitation rationnelle de sa construction interne.
  • Exemples de consignes correspondantes [15] : « Résumez les étapes de cette anecdote. » « Faites la liste des différentes situations absurdes qui apparaissent dans cette histoire, et montrez qu’il y a progression. »

3. Interpréter

  • Définition : on « explique » le texte en faisant appel à des données extratextuelles soit déjà connues des élèves, soit apportées par le manuel ou l’enseignant.
  • Objectifs de l’enseignant : faire mobiliser par les élèves des connaissances extratextuelles déjà acquises, ou apporter des connaissances extratextuelles au moment où les élèves en ont besoin.
  • Objectifs de l’élève/du candidat : montrer qu’il a acquis au cours de ses études de langue des connaissances sur la ou les cultures correspondantes, et qu’il sait les mobiliser pour mieux comprendre un texte et l’expliquer à quelqu’un d’autre.
  • Exemples de consignes correspondantes : « Relevez dans ce texte toutes les caractéristiques du Romantisme et du Fantastique. » « Montrez en quoi ce texte reflète-t-il les clivages politiques de cette période ? »

4. Extrapoler

  • Définition : on « explique » le texte en explicitant comment et dans quelle mesure ses éléments sont représentatifs de réalités extratextuelles.
  • Objectif de l’enseignant : utiliser le texte comme support d’enseignement et de découverte culturels.
  • Objectif de l’élève/du candidat : montrer qu’il est capable d’enrichir ses connaissances et sa compréhension de la culture étrangère grâce à la lecture de ce texte.
  • Exemples de consignes correspondantes : « Caractérisez la psychologie de chacune de ces trois décennies (60, 70 et 80). » « Montrez comment ces mots sont révélateurs de la géographie et de l’histoire du pays. »

5. Comparer

  • Définition : on « explique » le texte en tant que lecteur, en établissant explicitement des correspondances entre des données étrangères extratextuelles interprétées ou extrapolées à partir du texte, et des données dont on dispose déjà par ailleurs dans la même culture étrangère, dans une autre culture étrangère, dans sa culture maternelle, dans son expérience personnelle,...
  • Objectif de l’enseignant : faire appel aux connaissances et compétences des élèves pour leur faire mieux prendre conscience des réalités étrangères, et à l’inverse leur faire mieux prendre conscience de leur propre culture.
  • Objectif de l’élève/du candidat : montrer qu’il est capable de distance réflexive par rapport à sa propre culture, et d’utiliser cette culture personnelle pour mieux saisir les spécificités de la culture étrangère.
  • Exemples de consignes correspondantes : « À partir des documents que vous avez analysés, discutez en groupe sur les ressemblances ou les différences qui existent entre la façon de fêter le Carnaval à Nice et en Italie. » « Pourquoi une publicité de ce genre ne serait pas possible chez nous ? »

6. Réagir

  • Définition : on « explique » le texte en tant que lecteur, en explicitant ses réactions, impressions, jugements vis-à-vis du texte, du hors-texte correspondant, ou de la manière dont celui-ci est en correspondance avec celui-là ; ces réactions, impressions et jugements peuvent être à la fois subjectifs (les élèves réagissent en tant que lecteurs) et objectifs (ils se basent sur une connaissance du vécu des personnages).
  • Objectif de l’enseignant : faire appel à la subjectivité des élèves en tant que lecteurs réagissant personnellement sur les réalités textuelles ou extratextuelles correspondantes en fonction de leur personnalité, sensibilité, expérience, culture (point de vue externe), mais en même temps en fonction de leur connaissance de ces mêmes réalités telles qu’elles sont vécues par les personnages (point de vue interne).
  • Objectif de l’élève/du candidat : montrer qu’il a été intéressé par les réalités textuelles ou extratextuelles correspondantes parce que ces réalités ont provoqué chez lui des réactions, fait naître des impressions, suscité des réflexions.
  • Exemples de consigne correspondante : « En fonction de sa situation, les remarques de ce personnage vous paraissent-elles mesurées, excessives, passéistes, modernes ? »

7. Transposer

  • Définition : on « explique » sa propre lecture du texte en transposant texte et hors-texte correspondant dans son propre référentiel culturel.
    Objectif de l’enseignant : motiver la prise de parole des élèves en les faisant parler de réalités qui leur sont proches.
  • Objectif de l’élève/du candidat : montrer qu’il a été intéressé par les réalités textuelles ou extratextuelles correspondantes parce que ces réalités ont provoqué chez lui des réactions directement en liaison avec sa culture ou son expérience personnelle.
  • Exemples de consignes correspondantes : - La même aventure vous serait arrivée dans votre pays, comment auriez-vous réagi ? - Avez-vous vécu vous aussi des situations insolites ? Racontez. - Pourrait-on imaginer une scène semblable dans votre pays ? Pourquoi ?

J’ai établi cette typologie tout simplement à partir d’un classement inductif des consignes proposées par des auteurs de manuels sur leurs documents de base. Les exemples sont empruntés à des manuels de français langue étrangère dits « de niveau 2 » et « de niveau 3 » (B1 à C1, approximativement), mais ils correspondent tout à fait à ceux que l’on peut rencontrer dans des manuels scolaires de second cycle pour les langues étrangères en France. Les contenus, bien sûr, mais aussi l’organisation et même la méthodologie des explications de textes littéraires diffèrent sensiblement d’un texte à l’autre [16] ; leur seul point commun, ce qui définit le mieux cette activité dans sa plus grande généralité, c’est précisément l’ensemble de ces différentes tâches attendues des élèves en classe et des candidats au baccalauréat, même si - et c’est là la difficulté structurelle de l’explication de textes - ces différentes tâches vont devoir être sélectionnées, combinées et articulées différemment en fonction de la spécificité de chaque document.

On notera que les consignes de tâches, ici, ne prennent pas généralement la forme de questions, mais de demandes à l’impératif ou à l’infinitif. On peut certes donner à la plupart des consignes de tâches l’une ou l’autre forme : « Caractérisez la psychologie de chacune de ces trois décennies » / « Quelle est la psychologie de ces trois décennies ? » ; « Montrez comment ces mots sont révélateurs de la géographie et de l’histoire du pays. / Comment ces mots sont-ils révélateurs... ? », mais le choix entre l’une et l’autre formulation n’est pas neutre du tout. La question produit en effet une situation de commentaire oral immédiat en enseignement collectif mais où les réponses attendues sont individuelles ; l’impératif et l’infinitif créent au contraire une situation de communication qualitativement différente où un temps est laissé aux élèves pour réaliser le travail demandé, ce qui ouvre la possibilité d’une certaine autonomie, d’un travail de groupe, ainsi que du recours à l’écrit pendant l’activité (prise de notes intermédiaires, par exemple) et à la fin (remise du travail sous forme écrite). La prise en compte effective de la perspective actionnelle dans le traitement des textes littéraires (et autres) s’observera dans les salles de classes et les manuels lorsque les consignes ne se donneront plus systématiquement, comme c’est le cas par exemple jusqu’à présent en espagnol, sous la forme de questions, qui sont des demandes de dire, mais sous la forme d’infinitifs ou d’impératifs, qui sont des demandes de faire. [17] Et aussi lorsque certains textes ne donneront plus lieu à réalisation de la totalité des tâches possibles, mais seulement de certaines d’entre elles, celles qui leur seront le plus adaptées et/ou celles qui seront nécessaires au projet global dans lequel s’inscrira l’activité sur le texte.

La typologie de l’ « analyse actionnelle des textes littéraires » proposée ci-dessus devrait permettre en effet non seulement d’expliciter les objectifs de l’explication de textes en termes de compétences (« être capable de paraphraser », « être capable d’analyser », etc.) et donc de concevoir pour cette activité aussi des échelles de compétences semblables à celles proposées dans le CECR[[ Ces grilles devront intégrer pour cela des descripteurs précisant le degré de difficulté et le degré de réussite, comme d


[1Je remercie vivement Pascale Catoire et Sylvie Marc, enseignantes en lycée et formatrices interlangues, pour leur relecture attentive de mon texte, leurs remarques et leurs suggestions, dont j’ai tenu compte dans la rédaction finale de cet article. Je reste cependant entièrement responsable des idées exposées dans ce texte, et de ses éventuelles erreurs ou imperfections.

[2On me pardonnera ces métaphores, qui sont celles qui me viennent à l’esprit en ce moment : j’ai fait cet été deux déménagements dans les Pyrénées Ariégeoises...

[3Ce modèle a été formalisé dans l’instruction du 1er décembre 1950, qui est théoriquement restée en vigueur jusqu’à la fin des années 70 (elle est republiée encore en 1978 dans une compilation d’instructions en vigueur du CNDP).

[4Pour reprendre le titre d’un ouvrage bien connu de John Langshaw AUSTIN, l’une des grandes références de la pragmatique linguistique dont s’est réclamée l’approche communicative.

[5Sur l’analyse didactique que je fais de cette perspective, je renvoie à mes articles de 2002 et 2006.

[6Je reprends ici, en le complétant et en le développant, un modèle initialement présenté dans mon article de 2003, puis dans ma conférence de 2006.

[7L’«  étayage  », concept désormais courant en pédagogie générale, désigne ce que fait l’enseignant pour que l’apprenant parvienne à faire ce qu’il ne pourrait encore faire de manière totalement autonome : aides, guidages, conseils,... Cette fonction de l’enseignant peut être prise en charge totalement ou en partie par d’autres agents tels que le manuel (lexique final, précis grammatical, consignes, fiches méthodologiques...), le matériel disponible (dictionnaires, grammaires, ressources sur ,...), les autres membres du groupe de travail,... Dans l’enseignement-apprentissage des langues, tout au moins, cet étayage ne s’arrête pas à la réalisation correcte de la tâche : l’enseignant va demander par exemple aux élèves d’expliquer pourquoi ils considèrent telle ou telle phrase correcte, s’il pense qu’ils ont simplement reproduit mécaniquement un modèle structural  ; ou encore il va leur demander en début d’heure de reprendre quelques phrases clés de commentaire du texte étudié à l’heure précédente, pour assurer un nouveau rebrassage de telle ou telle forme linguistique introduite par ce texte (on parle d’ailleurs pour désigner ces débuts de cours de «  phases de reprise  »).

[8Même si, au cours de l’histoire et selon les traditions de chaque langue, l’équilibre interne entre les tâches de ces différents types (a1, a2 et a3  ») a beaucoup varié.

[9Je reprends, avec les mêmes commentaires, un document déjà proposé dans mon article de 2006.

[10Ce serait un sujet de recherche intéressant que d’essayer de valider cette hypothèse par une recherche linguistique sur des enregistrements de conversations authentiques, pour laquelle on pourrait entre autres s’appuyer sur la typologie des activités attendues dans ce type d’explication (voir « Analyse actionnelle de l’explication de textes littéraires », plus bas). La culture d’un individu, dans la société française, se juge en particulier sur la familiarité dont il fait preuve par rapport à l’univers scolaire et universitaire qu’il a longuement fréquenté, de même que la compétence professionnelle s’y juge plus qu’ailleurs aux diplômes attestant de la formation correspondante.

[11Toutes choses étant égales par ailleurs, bien sûr, en particulier l’intensité et la durée du contact avec la langue étrangère.

[12XIIe CEDIFRALES, Rio de Janeiro, 3-6 juin 2001.

[13Ce n’est certainement pas un hasard si les deux thèses que j’ai dirigées sur des problématiques d’enseignement conjoint de la langue et de la culture françaises à des étudiants d’universités introduisant traditionnellement très tôt l’étude de la littérature dans leurs cursus de formation, se sont orientées naturellement vers une approche comparatiste de textes : Parvine MOVASSAT, Méthodologies de l’enseignement/apprentissage de la littérature en français langue étrangère. Le cas de l’université iranienne. Université Paris-III, mai 1999. Wassim AL CHAAR, Pour une nouvelle approche du texte littéraire dans les universités syriennes, Université Paris-III, octobre 2001.

[14La paraphrase a très mauvaise presse dans les sections littéraires à l’Université, et leurs enseignants n’y comprennent pas pourquoi les nouveaux étudiants la pratiquent constamment, alors qu’ils y ont été formés pendant tout leur cursus scolaire : «  Sehr gutt  !  », «  Very well  !  » ou «  ¡Muy bien  !, ont-ils entendu souvent de leurs professeurs de collège ou de lycée pour les féliciter d’avoir reformulé d’une belle phrase une des idées du texte... Et ces enseignants ont raison : la capacité à paraphraser est une composante importante de la compétence de communication (quand on ne s’est pas fait comprendre, on reformule  ; quand on cherche à comprendre, on se reformule pour soi-même), et elle a même accru son importance en devenant une composante de la «  compétence de médiation  » introduite dans le CECR.

[15L’ explication de textes se termine généralement par des tâches de synthèse, comme celles-ci, qui sont des demandes finales d’analyse globale. (Elle commence de même par des tâches globales, de compréhension littérale, donnant lieu à paraphrases.)

[16D’où l’indigence, en général, de la «  fiche méthodologique  » unique proposée dans certains manuels pour guider l’activité des élèves sur tout type de texte, sans parler des effets pervers que provoque son application mécanique à des textes qui ne s’y prêtent pas.

[17L’expérience historique me fait craindre, cependant, des récupérations de façade qui maintiendraient intacte la structure de l’édifice (impératifs dans les manuels systématiquement transformés en questions en classe, par exemple). Bel exemple de récupération de ce type, celui réalisé dans ce manuel d’espagnol qui proposait il y a quelques années, dans la partie d’autoévaluation des compétences à la fin d’une unité : «  Maintenant je suis capable de... conjuguer le verbe ser à l’indicatif présent.  » : il y a dans cet énoncé une confusion, consciente ou inconsciente, entre une compétence et une connaissance, ou du moins entre une compétence langagière et une compétence méthodologique.


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