Éditorial des « Langues Modernes » n° 1/2020

Par Émilie Perrichon et Laure Peskine, rédactrices en chef
mardi 10 mars 2020

Le numéro 1/2020 des Langues Modernes interroge sur l’/les enjeu(x) de/des comparaison/s en didactique des langues. Cette thématique n’a jamais été traitée de manière aussi claire dans l’histoire de la revue. Toutefois, les problématiques que la comparaison soulève, aussi bien dans dans des aspects didactiques qu’épistémologiques, sont depuis longtemps une préoccupation pour l’APLV et les Langues Modernes. Ainsi le compte rendu des journées d’études de l’APLV « Confronter nos approches » publié dans le numéro 1/1986 des Langues Modernes mettait en regard l’enseignement du français à l’étranger et celui des langues étrangères en France. À cet effet Yves Bertrand, chargé de faire la synthèse, avait proposé, à titre indicatif, une grille de réflexion qui portait sur les quatre points suivants : cadres institutionnel et public, objectifs, contenus, méthodologie [1].

Voici quelques extraits de sa synthèse :

La première observation qui s’impose à la lecture des différentes contributions est le contraste entre d’une part la grande diversité des cadres institutionnels et des publics et de l’autre une assez grande convergence du moins apparente dans les objectifs, les contenus et les méthodes. D’où la question qui se pose : dans quelle mesure ces objectifs, ces contenus et ces méthodes se bornent-ils à refléter des tendances générales, internationales, en didactique des langues et dans quelle mesure tiennent-ils compte des spécificités de chaque situation d’enseignement ?

[...]

Tous les pays et toutes les langues s’accordent pour donner la prédominance à l’objectif pratique et spécialement à la compétence communicative, y compris en R.D.A., où pourtant les occasions qu’auront les élèves de communiquer [...] On note également un certain rééquilibrage entre l’oral et l’écrit. Après avoir été longtemps le parent pauvre de notre enseignement des langues, l’oral avait supplanté et presque évincé l’écrit, car là aussi, comme souvent il arrive, on était passé d’un extrême à l’autre. L’écrit semble peu à peu retrouver sa place.

[...]

Toutes les réponses accordent à l’objectif pratique (compétence communicative) la priorité temporelle sur les autres, l’objectif culturel venant plus tard. Toutefois on note chez les italianisants le désir d’aborder le plus tôt possible et donc bien avant le second cycle les aspects culturels. Cette attitude nous semble tenir pour une part à la facilité relative de cette langue pour des francophones et pour une autre part à la faible diffusion de l’italien dans le monde. On constate aussi chez nombre d’enseignants d’anglais ou d’allemand en France une tendance à mettre une sourdine à l’objectif communicatif et à insister sur les vertus de l’apprentissage d’une langue pour la formation de l’esprit.

Dans ce même numéro Michel Candelier faisait une étude critique détaillée des objectifs définis dans les instructions de 1985 pour l’enseignement des langues vivantes étrangères au collège dans les programmes de 1985 [2] :

Un objectif est cité vers la fin « Il s’y ajoutera un objectif proprement linguistique, grâce à la réflexion entreprise sur la langue, par comparaison avec d’autres, en particulier la langue française ».

Et plus loin, nous pouvons lire :

[...] ces nouveaux programmes appellent à un développement des « relations entre les différentes disciplines » (p. 327). La moindre des choses serait que ce développement soit possible, au minimum, entre les enseignants de différentes langues. Mais comment collaborer lorsqu’on ne parle pas le même langage ? De ce point de vue aussi, un peu plus d’unité aurait été souhaitable.

Dans le n° 1/1988 Michel Candelier reprenait et complétait l’atelier qu’il avait animé avec Louise Dabène sur le thème : « Relations entre didactique des diverses langues » lors du colloque Didactique des langues ou didactique de langues ? Transversalité et spécificités [3]. Dans leur introduction, les deux didacticiens écrivaient :

Aujourd’hui, plus profondément, des frontières passent entre les langues. Frontières parfois ténues, pointillés que recouvrent partiellement des orientations communes à tel sous-groupe de professeurs de telle langue et à tel sous-groupe de professeurs d’une autre langue. Mais globalement, frontières tout de même, balisées en particulier par tous les points de divergence qui séparent les Instructions Officielles de telle langue de celles d’une autre langue.

Désormais la comparaison des systèmes linguistiques est explicitement mentionnée à tous les niveaux dans les programmes comme en témoignent ces extraits :

Cycle 2 :

Les activités langagières en langues vivantes étrangères et régionales sont l’occasion de mettre en relation la langue cible avec le français ou des langues différentes, de procéder à des comparaisons du fonctionnement de la langue et de permettre une observation comparée de quelques phénomènes simples par exemple autour d’un album jeunesse. [4]

En français, le rapprochement avec la langue vivante étudiée en classe permet de mieux ancrer la représentation du système linguistique : comparaisons occasionnelles avec le français, sur les mots, l’ordre des mots, la prononciation. La rencontre avec la littérature est aussi un moyen de donner toute leur place aux apprentissages culturels, en utilisant la langue étrangère ou régionale aussi bien que le français (albums bilingues, etc.) [5].

Cycle 3 :

En français, en étude de la langue, on s’attache à comparer le système linguistique du français avec celui de la langue vivante étudiée en classe. En littérature, la lecture d’albums ou de courts récits en édition bilingue est également à encourager [6].

L’apprentissage d’une langue vivante étrangère ou régionale est l’occasion de procéder à des comparaisons du fonctionnement de cette langue avec le français, mais aussi d’expliciter des savoir-faire également utiles en français (écouter pour comprendre ; comparer des mots pour inférer le sens...). De manière générale, les autres langues pratiquées par les élèves sont régulièrement sollicitées pour des observations et des comparaisons avec le français [7].

Cycle 4 :

Toutes les disciplines visent à étayer et élargir les modes de raisonnement et les démonstrations. Ainsi, les langues vivantes étrangères et régionales introduisent à d’autres points de vue et conceptions, aident à prendre de la distance et à réfléchir sur ses propres habitudes et représentations [8].

Dans chaque langue étudiée et dans la convergence entre elles, la découverte culturelle et la relation interculturelle sont, en articulation étroite avec les activités langagières, des visées majeures du cycle [9]

Lycée :

L’élève est conduit à mobiliser ses connaissances de la langue française et des autres langues qu’il connaît afin de mieux saisir la différence ou la proximité avec la langue étudiée. La comparaison entre les langues et leurs systèmes respectifs favorise une approche plurilingue de l’apprentissage. [10]

Cependant, les enseignants des différentes langues trouvent, il nous semble, peu de pistes quant à la mise en œuvre de cette approche plurilingue. Ce numéro des Langues Modernes coordonné par Fabrice Barthélémy, que nous remercions vivement pour son engagement et son travail, s’inscrit dans cette perspective. Les cinq articles qui composent ce dossier adoptent une démarche comparative dans le champ des didactiques des langues vivantes et englobent une dimension comparative en classe de langues vivantes. Dans une perspective plurilingue, les travaux présentés favorisent la/les comparaison(s) dans l’appréhension des données, contextes, problématiques à travers des études de cas, de matériel didactique et de l’analyse de pratique.

Tout d’abord, Sophie Bailly, Anne Choffat-Durr, Véronique Lemoine-Bresson, Stéphanie Lerat et Latisha Mary, nous donnent des éléments de compréhension des modalités de mise en place d’un dispositif immersion dans une approche comparative, à partir de la mise en dialogue des points de vue d’enseignants et de cadres de l’éducation nationale.
Ensuite, Michel Candelier et Anna Schröder-Sura, dans le champ de la didactique du plurilinguisme et de l’enseignement des langues vivantes étrangères en Allemagne et en France, présentent les résultats d’une étude destinée à tout professionnel de l’enseignement des langues étrangères, quelle que soit la langue enseignée.
Coraline Pradeau retrace, quant à elle, les enjeux théoriques et méthodologiques d’une perspective comparée sur les politiques linguistiques d’immigration en Belgique, en France, en Suisse et au Québec.
Le quatrième article, proposé dans ce dossier par Anne-Claire Raimond, présente un travail sur la fonction didactique des textes littéraires dans les cours de Français langue étrangère (FLE), à travers l’analyse de six propositions pédagogiques centrées sur les deux mêmes extraits littéraires.
Enfin, l’article d’Edna Sanchez présente les avantages didactiques qu’offre l’intercompréhension entre le français et l’espagnol et le partage de la L1 chez tous les acteurs de la classe pour mettre en place des démarches contrastives d’explication dans l’emploi des compléments verbaux du français.

Nous publions également le compte-rendu rédigé par Pascal Lenoir sur la notion de médiation suite au séminaire du 23 novembre 2019 organisé par l’APLV.

Nous remercions nos abonnés pour leur fidélité et, s’ils ne veulent pas avoir d’interruption dans leur abonnement, nous leur conseillons de renouveler dès aujourd’hui leur abonnement pour l’année 2020.

Bonne lecture à tous.


[1Pour la grille détaillée voir p. 13 du numéro 1/1986 des Langues Modernes.

[2«  Les avatars d’un tryptique  », p. 87-97.

[3Ce colloque s’était tenu à Paris les 18, 19 et 20 juin 1987 à l’initiative du CREDIF (Centre de Recherches d’Études et de Diffusion du Français).

[4B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015,p. 34.

[5B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 6.

[6B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 93.

[7B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 125.

[8B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 223.

[9B.O spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 255,

[10Programme d’enseignement commun et optionnel de langues vivantes de la classe de seconde générale et technologique et des classes de première et terminale des voies générale et technologique. B.O. spécial n° 1 du 22 janvier 2019, annexes 1 et 2, p. 4..