Si je me souviens bien, la dernière fois que les Langues Modernes ont publié un numéro consacré au théâtre remonte à 1997 et C. Puren rappelait alors en citant Henri Trégor (Les Langues Modernes n° 4, 1952) que le premier « acteur et metteur en scène » en classe était le professeur lui-même. Il signalait alors que les différents types de formation théâtrale (placement de la voix, lecture expressive, gestion de l’espace, expression corporelle) étaient, parmi les formations dites « générales » proposées dans les IUFM, les plus demandées et appréciées de la part des stagiaires de langue de seconde année (Les Langues Modernes n° 3, 1997).
D’autres articles sur le théâtre ont été publiés dans la revue comme, par exemple, « Les techniques dramatiques et l’enseignement de l’espagnol » (J. Faessel, n° 2-3, 1976) ou « Théâtre et enseignement des langues » (Y. Bertrand, n°6, 1970).
C’est le début de cet article que j’aimerais faire relire. Voici ce qu’écrivait notre collègue :
« Si nous ne voulons pas nous contenter d’enseigner à nos élèves un ensemble de règles qui leur permettront peut-être d’engendrer des phrases grammaticalement correctes, mais qu’aucun Allemand ne dira, il nous faut lier étroitement l’emploi de la langue étrangère aux conditions concrètes de cet emploi, autrement dit aux situations dans lesquelles les étrangers parlent. Mais il n’est généralement pas possible de vivre ces situations en classe et force nous est de les simuler. Or, le théâtre présente justement des situations fictives où les personnages s’expriment et on voit tout de suite le profit qu’en peut tirer notre enseignement : le théâtre sera un exercice de simulation où nos élèves feront semblant d’être des Allemands agissant et parlant dans des situations analogues à celles qui les attendent outre Rhin et auxquelles il importe de les préparer. La dramatisation, comme on l’appelle maintenant, rare dans notre pédagogie des langues, tend à s’y développer, et il n’est guère de méthodes audio-visuelles qui ne la proposent. Mais on peut très bien la réaliser en classe nue, c’est-à-dire en classe dépourvue de moyens techniques.
La dramatisation peut prendre quatre formes différentes de degré croissant dans l’expression. Ce peut être :
1) la simple présentation d’un texte : les élèves prononcent exactement les paroles et accomplissent exactement les gestes proposés par l’auteur ;
2) l’enrichissement ou la transposition de la scène : les élèves, tout en suivant de près le dialogue donné, ajoutent des répliques ou changent le décor ou les personnages ;
3) la commedia dell’arte : on ne part plus d’un dialogue existant, mais d’un simple canevas, et les acteurs, tout en suivant l’action dans ses grandes lignes, improvisent ;
4) le « linguodrame », dont les élèves inventent le scénario et le dialogue et qu’ils interprètent. On voit l’évolution du rôle des élèves : de simples acteurs dans la première forme, ils s’émancipent d’abord faiblement puis franchement dans la deuxième et troisième pour finir par devenir auteurs. C’est d’ailleurs l’évolution d’écrivains de théâtre célèbres. Cette évolution nous dicte une progression pédagogique : on commencera par la première forme de dramatisation, et on terminera par la quatrième. »
Y. Bertrand décrit ces différentes phases et conclut comme suit :
« L’introduction de la dramatisation chez des débutants ne pose aucun problème, et nous avons pu le vérifier avec des élèves de tous âges. En revanche, dans une classe formée avec d’autres méthodes, elle risque au début de soulever quelques difficultés. La première serait de donner aux élèves turbulents ou chahuteurs le prétexte à semer le désordre ; mais tout professeur qui a de l’autorité sait neutraliser ces éléments de trouble. La seconde est d’embarrasser les timides et les faibles. Aussi faut-il d’abord prendre bien soin de montrer aux élèves comment jouer. Le professeur joue lui-même un rôle la première fois en prenant pour partenaires des élèves doués et loquaces. Ensuite, progressivement, il fait participer les timides et les faibles en leur confiant d’abord des rôles brefs puis plus importants au fur et à mesure que ces élèves s’enhardissent. Ces précautions prises, l’expérience montre que la dramatisation est non seulement acceptée mais désirée et que les classe la pratiquent avec plaisir et avec profit.
Le théâtre sous toutes ses formes constitue donc un des stimulants les plus efficaces pour l’apprentissage des langues vivantes. En effet :
1) Il joint l’expression à la situation, la langue à l’action, la parole au geste.
2) Il est praticable dès le début des études et le reste à un stade avancé, les scènes créées ou interprétées étant évidemment différentes selon les âges et les niveaux.
3) Il donne aux élèves l’occasion de se servir de la langue étrangères dans des situations étrangères, même si elles sont fictives.
4) Il leur fournit aussi, avec une liberté croissante, le moyen de mettre en œuvre leurs qualités d’invention et de création ».
C’était dans Les Langues Modernes, n° 6, de novembre-décembre, 1970.