Dès la création des IUT en 1966 la Direction des Enseignements Supérieurs avait chargé, dans le cadre d’un programme de recherche pédagogique sur les méthodes d’enseignement dans les IUT, au mois de mars 1967, l’Institut National pour la Formation des Adultes d’organiser une série de colloques. Le premier de ces colloques a eu pour objet l’enseignement des langues vivantes et s’est déroulé à l’INFA (Nancy). Le but de ces colloques était de confronter les diverses expériences et les nombreuses observations effectuées dans les IUT afin de définir les méthodes pédagogiques les plus adaptées à ce type d’enseignement et de permettre l’obtention d’un optimum de fonctionnement.
Dans les conclusions du premier colloque qui s’est déroulé les 5, 6 et 7 décembre 1967, M. Innocent, rapporteur de la Commission des Objectifs, soulignait que l’objectif de l’enseignement des langues est de donner aux élèves « un instrument souple, utilisable dans leur vie professionnelle » et aussi de les préparer à une évolution culturelle ultérieure.
La vie professionnelle impliquait que l’enseignement des langues (surtout l’anglais) se tourne vers les langues de spécialité (c’était déjà de l’actionnel...) et cela préfigurait l’enseignement LANSAD.
Les universités ont commencé à s’intéresser aux langues de spécialité en 1968, avec la pluridisciplinarité et l’arrêté créant les DEUG qui imposait un enseignement de langue à tous les étudiants de Premier Cycle non-spécialistes, ce qui a donné à cet enseignement une importance que les enseignants n’étaient d’ailleurs pas encore prêts à lui accorder par manque de moyens humains et matériels, manque de préparation, de manuels et même parfois parce qu’ils n’en voyaient pas la nécessité...
Il faut quand même mentionner que depuis 1967, le Bulletin Pédagogique des IUT (de 1967 à 1982, relayé par les Échanges Pédagogiques, de 1982 à 1986, puis à partir de 1980 Les Cahiers de l’APLIUT, ont régulièrement publié des articles sur les langues de spécialité, suivis spar Asp, la revue du GERAS ( pour les publications voir l’article de Monique Memet dans Les LM, n°1, 2005, ainsi que la bibliographie publiée dans ce même numéro)
Il était normal que notre revue consacre plusieurs numéros à ce sujet : n°2-3/1975, n°1/1982, n°2/1993 (sur le « post-Bac »), n°1/ 2005, n°1/ 2013, et je voudrais citer, à titre indicatif, deux pages de notre collègue Paul Bacquet (Paris 3), écrites en 1975. Les collègues pourront ainsi se rendre compte de l’évolution qui a eu lieu (ou non) ces quarante dernières années.
Voici ce qu’écrivait notre collègue :
« Connaître une langue de spécialité c’est avant tout connaître les concepts et les champs notionnels que recouvrent les vocables et avoir de la technique ou de la science considérées une compréhension satisfaisante. Si l’on n’admet pas cette évidence, il vaut mieux renoncer : l’université deviendrait vite une foire aux dupeurs et aux dupés. C’est donc à la pluridisciplinarité bien comprise, qui exclut les égoïsmes, les jalousies et la sauvegarde aveugle des chapelles ou des intérêts personnels ou catégoriels, c’est à la collaboration effective avec les médecins, les légistes, les économistes, etc., qu’il faut d’abord s’efforcer de parvenir, en attendant que des linguistes plus nombreux se spécialisent eux-mêmes dans des secteurs précis, qu’il s’agisse d’économie, de biologie ou des sciences mathématiques. Dans ce domaine, on devrait être en mesure d’inventer une pédagogie pluridisciplinaire des langues.
Si les langues de spécialités connaissent aujourd’hui un certain succès, et je le vois tous les jours dans le secteur tertiaire, malgré les moyens insuffisants mis à notre disposition au niveau de la recherche et de l’enseignement et malgré les réticences de plusieurs, c’est qu’un grand nombre d’étudiants, plus motivés que la plupart des recrues traditionnelles veulent enfin lier leurs études à leurs futures activités professionnelles . Dans ce cas, il est clair que des enseignements complets doivent être dispensés, comme c’est la volonté et l’ambition du secteur tertiaire, afin que parallèlement aux langues de spécialités , on enseigne le droit des affaires, l’économie, la gestion, l’informatique, la statistique, etc. Sans cet ensemble cohérent, l’apprentissage de la langue de spécialité demeurera un leurre ou un étalage postiche. Il est clair aussi qu’il est urgent de connaître la situation réelle des débouchés dans tous les domaines., tant sur le plan national que régional. Car sans vouloir faire des universités des écoles pré-professionnelles, il est nécessaire que nous sachions si le marché actuel et à court terme correspond à ce que nous offrons à nos étudiants et si nous avons quelque chance d’infléchir la création de nouveaux débouchés. Ce genre d’enquête, et sa diffusion, auraient du, en bonne logique, précéder la création d’enseignements nouveaux. Je posais déjà la question dans un article du Monde il y aura bientôt dix ans.
Le problème des niveaux progressifs sur deux ou trois années doit être réglé prioritairement. Vouloir tout apprendre d’un seul coup en un an ou tout serrer dans un corset horaire exigu correspondrait à une gageure qui ne serait bénéfique à personne. En deuxième et même en troisième année, l’étudiant devrait être en mesure d’approfondir les connaissances acquises en première année, de réfléchir aux mécanismes des langues de spécialités et de s’initier aux techniques et aux pratiques de leur future activité : discussions, rapports, résumés, prise de notes, expression orale et écrite... Après avoir fait miroiter les possibilités d’un apprentissage professionnel d’une langue de spécialité, il serait peu sage de décevoir une clientèle universitaire de plus en plus nombreuse. En outre une seule langue de spécialité sera souvent insuffisante dans la vie professionnelle et il est urgent d’orienter l’enseignement d’une seconde langue dans la même direction, une fois acquises les connaissances de base indispensables. Il faut donc penser le problème dans son ensemble, susciter des rencontres, tirer des conclusions, avant d’établir un plan d’enseignement et d’organiser des filières. Il faut aussi accroître les horaires et créer des postes spécifiques d’enseignement qui ne pourront pas être détournés de leur objet par les universités et les UER menacées de sectarisme. C’est dans ce domaine que l’on devrait investir en priorité. Car ce n’est pas lorsque les enseignants de lettres se trouveront en chômage technique, faute d’étudiants, qu’il faudra opérer des reconversions illusoires. Un agrégé d’anglais ou d’allemand qui ne s’intéresse pas à la langue économique et qui n’a pas de l’économie une connaissance approfondie fera toujours un piètre spécialiste d’anglais ou d’allemand économique. En effet, il existe non seulement une terminologie propre à connaître, mais aussi une grammaire et une rhétorique spécifiques, avec leurs règles, leurs tics, leurs impératifs de tous ordres : condensation, ponctuation, ellipses, etc. Si celles-ci ne contredisent pas la langue de base, elles la modèlent de manière propre. Et la terminologie elle-même est loin d’être fixée une fois pour toutes : elle évolue, elle hésite, elle invente, elle vit. Seuls ceux qui suivent les aléas de ces langues particulières, en économie comme ailleurs,connaissent bien la précarité du lexique et ceux qui ne la voient pas sont ceux-la même qui manquent de culture et qui ne comprennent pas que la langue reflète autant que la vie politique ou économique la réalité d’une civilisation. Il convient en conséquence d’encourager les expériences qui promeuvent de nouvelles fonctions enseignantes conformes aux perspectives définies par la politique des filières nouvelles. Le cas échéant il sera nécessaire de susciter et d’aider des expériences-pilotes en créant des plans de formation efficaces et résolument modernes. Une université qui n’imagine pas se vide tôt ou tard de sa substance la meilleure et s’effiloche dans tous les sens. »
C’était dans Les Langues Modernes n° 2-3 de 1975.