J’ai déjà eu l’occasion de signaler que l’APLV a depuis longtemps compris l’intérêt que le cinéma (et également l’image et la vidéo) présentait pour l’enseignement des langues. Les Langues Modernes ont publié depuis longtemps de nombreux articles sur ce sujet. Pour mémoire je citerai, depuis 25 ans les numéros suivants : « Des images au cours de langues » (4-1990), « Le cinéma en classe de langues » (4-1999), « L’image » (2-2002), « Cinéma et télévision » (3-2004), « L’image animée » (2-2013), un article très utile sur « Étudier les films en classe : pédagogie et droits d’auteur » (LM 2-2006). On pourrait également mentionner les journées d’étude ou université d’été organisées sur ce thème par notre association à Metz (1991) et à Lyon (1997). En remontant plus loin dans le temps j’avais cité un article, paru dans le numéro 1-1948, incluant le cinéma dans la formation des futurs professeurs de langues (LM 4-1999).
L’intérêt du cinéma pour l’enseignement des langues ne semble donc plus à démontrer mais je voudrais néanmoins faire relire ici quelques lignes qui me paraissent d’actualité.
Voici ce qu’écrivait notre collègue Claude Keller il y a plus de 15 ans dans le préambule d’un article intitulé « L’analyse de film en classe de langues » :
« Analyser un film est une entreprise complexe et délicate, qui hérite sa complexité de la complexité même de l’objet filmique. En effet, comment rendre compte, avec fidélité et rigueur, d’un texte fait de l’assemblage du visuel, du sonore et du filmique ? La pluralité des codes, le caractère fuyant de l’image en mouvement, rendent impossible une description exhaustive du texte-film, même si on n’adhère pas forcément à certaines théories selon lesquelles le texte filmique est introuvable. Les limites et les obstacles à l’analyse résultent de la qualité même de l’objet-film. Analyser un film, c’est le voir, le revoir, et le revoir encore. La vision unique d’un film, suivie d’une discussion, est une façon louable d’analyser un film ; cependant elle ne suffit pas, même si cette approche est nécessaire, car les premières impressions sont la base des hypothèses que l’on peut émettre sur une œuvre et que l’on va confronter à l’analyse, vérifier à travers l’analyse. La vidéocassette s’avère alors un moyen idéal, qui pourtant, a lui aussi ses limites : en effet manipuler à souhait un film pour l’analyser, peut conduire à des microanalyses qui risquent de manquer de pertinence et de tomber dans le piège de l’analyse pour l’analyse.
D’autres obstacles, plus psychologiques ceux-ci, se présentent. Pourquoi analyser un film, un extrait de film, peut-on se demander ? Pourquoi prendre le chemin inverse en démontant scrupuleusement ce qui a été monté pour ensuite reconstituer l’objet filmique ? Pourquoi ne pas considérer le film uniquement comme une source de plaisir, un objet d’art capable de dispenser des émotions, un loisir ? Parce qu’analyser un film, l’interpréter, c’est mieux le comprendre pour mieux en jouir. L’analyse d’un film comme Jour de Fête de Jacques Tati (1949, France, 70 minutes, Noir et Blanc) permet de découvrir la valeur du plan d’ensemble, car, à chaque nouvelle vision on découvre dans ces plans d’ensemble de nouveaux détails ; l’étude d’un film comme The Party de Blake Edwards (1968, États-Unis, 99 minutes, Couleurs) permet d’apprécier à chaque nouveau visionnement les détails du traitement de l’image et du son.
À travers les nombreuses expériences que j’ai faites quant à l’utilisation du film de fiction en classe de langues, je me suis vite rendu compte que le cinéma joue un rôle pédagogique dans la vie de bon nombre de personnes, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas forcément l’intention du réalisateur d’apprendre quelque chose au spectateur, mais cela ne signifie pas que l’on n’apprend rien en regardant un film. Les activités que j’ai menées à partir d’un film m’ont souvent montré que les étudiants apprennent plus sur la société d’un pays, le racisme, la guerre, la lutte des classes à travers un film qu’à travers les lectures théoriques qu’on leur recommande de faire. Le film fournit non seulement un récit pour parler de ces problèmes, mais aussi une expérience partagée, un point de départ commun à partir desquels des spectateurs différents peuvent dialoguer.
L’analyse d’un film est aussi un « exercice pédagogique » noble pour reprendre le titre d’un article de Roger Odin [1], en ce qu’elle permet de relativiser les images qui nous environnent. Notre vie quotidienne est envahie par les médias : une myriade de sons, un déluge d’images, déferlent sur les écrans de télévision, de l’ordinateur, du cinéma, porteurs de messages plus ou moins nécessaires, plus ou moins dangereux. Ces images et ces sons sont si faciles à consommer qu’on en oublie qu’ils sont le résultat de maintes manipulations. Il faut donc apprendre à ne pas absorber passivement des informations, mais à savoir analyser des signes, les codes qui forment la trame des conduites et des habitudes de civilisation. Il est du devoir des enseignants d’amener leurs élèves à la fois à s’interroger sur ce qu’ils voient, comme à développer leurs capacités d’un dialogue critique avec les messages audiovisuels. Le film de fiction n’est qu’une partie de cet univers audiovisuel, mais l’enjeu de l’analyse filmique c’est peut-être de participer aussi à cette éducation à l’image, et de faire de la fascination du spectateur face à l’image une fascination active ».
C’était dans Les Langues Modernes, n°4-1999.