« Deux langues étrangères au moins : il y a 59 ans dans Les Langues Modernes », par Francis Wallet

mardi 27 mars 2012

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On parle beaucoup en ce moment de réformer l’enseignement des langues vivantes. Il ne se passe pas une semaine sans que les journaux publient des interviews sur ce sujet. Le ministre de l’Éducation lance sans cesse des idées qu’il veut nouvelles, la dernière étant l’autodidaxie de l’anglais (et les autres langues ?), diffusée par le CNED grâce à Internet…

Les Langues Modernes, depuis leur création, n’ont pas cessé de publier les idées et les travaux de l’APLV sur l’enseignement et l’apprentissage des langues et je voudrais, en citant deux pages de la revue datant de 1953, montrer que les problèmes ne sont pas nouveaux.
Il s’agit de quelques extraits d’une interview de M. le Recteur Jean Sarrailh, intitulée « Deux langues étrangères au moins  » et recueillie par Henri Kerst.

« Vous avez longtemps séjourné à Madrid ; estimez-vous qu’un professeur de Langues Vivantes doit beaucoup voyager ?
J’ai passé neuf ans à Madrid, au début de ma carrière, et je demeure convaincu que de longs séjours à l’étranger sont nécessaires pour un professeur de Langues Vivantes. Son enseignement n’aura d’effet direct sur ses étudiants que dans la mesure où il aura une connaissance réelle du pays dont il enseigne la langue et la littérature.

Vous êtes le Président de l’Association Internationale des Universités ; cet organisme ne travaille-t-il pas à faciliter les séjours à l’étranger de professeurs, même non spécialistes de Langues Vivantes ?
Effectivement, cette Association, fondée au Congrès de Nice, il y a deux ans, groupe déjà 150 Universités de tous les pays du monde. Elle cherche à multiplier les liens d’amitié entre ses membres, organise des échanges entre Universités, et s’efforce de régler l’importante question des équivalences de diplômes, sur un plan international ; cette dernière mesure aidera beaucoup les étudiants à compléter leurs travaux tout en séjournant dans divers pays.

Les méthodes d’enseignement de certains autres pays vous ont-elles paru plus efficaces que les nôtres ?
Pour s’en tenir aux Langues Vivantes, j’ai été frappé, en Suède, par exemple, de l’aisance avec laquelle des élèves de Première expliquaient en français un poème de Baudelaire. Nos bacheliers feraient-ils aussi bien, en anglais ou en espagnol, sur un texte de Shakespeare ou de Cervantès ?

Cela provient de ce que bien des nations donnent à leur enseignement, au moins au cours des premières années, un caractère pratique : nos examens et concours sont-ils orientés dans ce sens ?
Les oraux devraient permettre de déterminer cette orientation en France également. J’ai pu constater, hélas ! combien nos représentants, dans les nombreuses conférences internationales auxquelles j’ai pris part, sont souvent ainsi placés en état d’infériorité par rapport à leurs confrères des autres pays. Je voudrais voir, en fin d’études secondaires, un enseignement pratique , poussé, de deux heures par semaine, presque exclusivement de conversation sur la civilisation des pays étrangers ; disques, assistants, radio, tous les moyens seraient mis en oeuvre pour obtenir des élèves qu’ils puissent s’exprimer couramment.
On compléterait cet enseignement, à l’Université, en nommant dans toutes les Facultés, celles de Droit, de Médecine, de Pharmacie, de Sciences aussi bien, des assistants qui parachèveraient cette préparation.

Combien de langues un homme cultivé se doit-il de connaître ?
Au moins deux ; et qu’il soit capable de les parler ! Les Nations ne sont plus aujourd’hui que des cellules d’un tout ; elles ne peuvent vivre et se nourrir intellectuellement si elles sont isolées du reste du monde.

Vos contacts avec la jeunesse actuelle vous font-ils bien augurer de la « relève » ?
J’ai toute confiance en elle. Les étudiants sont, dans l’ensemble, travailleurs, sérieux, désireux de réussir. Le niveau de la licence remonte sensiblement. Nous voudrions , de notre côté, faire davantage pour aider cette jeunesse. Ce sont les crédits qui nous manquent. Je voudrais pouvoir doubler le nombre des professeurs à la Sorbonne ; doubler le nombre des assistants, afin de fragmenter des auditoires disproportionnés, établir des contacts humains, directs, nécessaires à tout enseignement efficace. Où est le temps où j’étais le seul disciple de mon professeur ? ».

Cette interview concernait surtout l’Université, mais le lecteur a pu constater qu’on y trouve bien des mots-clés qui nous concernent tous actuellement, même si parfois on peut penser que le Recteur Sarrailh se montre bien optimiste.

C’était dans Les Langues Modernes,n° 1, 1953.